lundi 24 mai 2021

Autant en emportent les sèmes

 

En 2008, le président-fondateur de l’Asulf (Association pour le soutien et l’usage de la langue française), M. Robert Auclair, avait écrit à l’Office québécois de la langue française (OQLF) pour demander des explications sur l’acceptation, par le Grand Dictionnaire terminologique (GDT), du calque tête-de-violon comme « quasi-synonyme » du terme crosse de fougère jusqu’alors préconisé. Il avait reçu une réponse que j’ai longuement commentée dans mon billet « Tête-de-crincrin ».

 

M. Auclair a récidivé. Il a demandé à l’Office, le 22 mars 2019, de justifier sa préférence pour le terme technicien ambulancier paramédical plutôt qu'ambulancier, tout court. Il a reçu une réponse datée du 17 octobre 2019. Je ne retiendrai que deux ou trois éléments de cette réponse que l’on a mis sept mois à rédiger.

 

D’abord, cette affirmation étonnante : « Étant donné que l’Office déconseille les emprunts à l’anglais paramédic et paramédique, il privilégie dans le GDT, depuis 2011, des termes qui sont en usage et qui s’en approchent du point de vue de la forme pour encourager l’abandon des emprunts à l’anglais au profit d’une désignation plus juste ». Évitons les emprunts à l’anglais, prenons plutôt les formes qui s’en approchent le plus ! À ce compte-là, autant adopter le produit original ! À la lumière de cette affirmation, on comprend mieux la politique de l’OQLF sur les emprunts linguistiques adoptée en 2017 : tout, à commencer par les calques, plutôt qu’emprunter tels quels des mots anglais.

 

La phrase qui suit dans la réponse de l’Office est encore plus étonnante : « technicien ambulancier paramédical est un terme qui a été normalisé par le Comité de terminologie de la planification axée sur les capacités au Canada et le Bureau de la traduction ». Complétons la phrase : Bureau de la traduction du gouvernement fédéral. Et quel est donc ce Comité de terminologie de la planification axée sur les capacités au Canada ? Une petite recherche sur le site du Bureau de la traduction nous apprend que ce comité relève des « forces » (avec minuscule). Traduisons : le comité relève de l’armée. L’OQLF ne fait donc qu’avaliser une décision prise à Ottawa. Le gouvernement québécois actuel appréciera.

 

L’OQLF privilégie technicien ambulancier paramédical en le mettant en vedette dans sa fiche mais il admet que le mot ambulancier peut être « considéré comme aussi valable […] en ce qu’il peut exprimer à lui seul tous les sèmes associés au concept qu’il désigne ». Qu’en tarmes galants ces choses-là sont dites ! Le Larousse sème à tout vent, le GDT, lui, prodigue les sèmes : le geste auguste du sèmeur.

 

Technicien ambulancier paramédical est-il vraiment le terme le plus précis, comme l’affirme l’Office ?

 

Le terme technicien ambulancier ne serait-il pas plutôt un pléonasme ? Le métier d’ambulancier s’est en effet professionnalisé au fil des ans tout comme le mot ambulance lui-même a changé de sens. Au départ, une ambulance était ce que l'on appellerait aujourd'hui un hôpital de compagne : on amenait les blessés à l’ambulance, on ne déplaçait pas les blessés en ambulance vers l’hôpital. Le mot ambulancier désigne aujourd’hui non pas simplement une « personne desservant une voiture d’ambulance » (Trésor de la langue française informatisé, dont la définition date) mais une personne qui peut, en plus, prodiguer des soins préhospitaliers d’urgence. Les mots chirurgien et barbier ont connu une évolution encore plus remarquable : on ne va plus chez le chirurgien pour se faire raser, les barbiers ne coupent plus de membres (sauf s’ils sont vraiment maladroits).

 

Dans technicien ambulancier paramédical, il y a un second pléonasme : un ambulancier est, dans son acception contemporaine, une personne qui, dans les cas d'urgence, peut donner des soins, des traitements aux malades, mais sans appartenir au corps médical (cf. TLFi). Par définition, il fait donc partie des professions paramédicales.

 

Le plus navrant dans la fiche du GDT, c’est qu’on propose le substantif paramédical sous prétexte d’éviter l’emprunt littéral paramedic. C’est oublier que les usagers raccourciront inévitablement le mot comme : professeur devenu prof, métropolitain devenu métro et épidémiologie devenu, dans la bouche du docteur Arruda, épidémio (pour la plupart des Québécois, cette forme est un néologisme apparu la semaine dernière).

 *   *   *

Dans sa lettre, l’Office affirme que le mot ambulancier peut être « considéré comme aussi valable […] en ce qu’il peut exprimer à lui seul tous les sèmes associés au concept qu’il désigne ». Ce n’est toutefois pas l’avis du Bureau de la traduction du gouvernement fédéral. La fiche « ambulancier » de la banque de données terminologiques Termium comporte la remarque suivante :

Ne pas confondre avec «paramédical». Celui-ci est un ambulancier spécialisé. Le terme «ambulancier» est la désignation générale des praticiens ambulanciers. 

Cette observation est absente de la fiche « paramedic » de Termium.

 

 

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