lundi 12 janvier 2015

La lourdeur du vélo, la légèreté de la fiche


Dans mon billet du 6 janvier, je traitais du terme fatbike. J’y reviens à la suite de commentaires que j’ai reçus et d’une petite discussion qui a eu lieu sur une page Facebook à laquelle je suis inscrit. Tous ces échanges portaient sur les équivalents français que l’on pourrait trouver. Il y a eu plusieurs suggestions : le mot-valise vélon (vélo + [pneu] ballon), vélo-neige, vélo à neige, vélo d’hiver, vélo de neige, vélo-ballon. Sur le coup, j’ai moi aussi proposé vélo-neige (sur le modèle de motoneige) et j’ai ajouté vélo des neiges (sur le modèle de scooter des neiges et de surf des neiges).


Mais le fatbike est un vélo qui permet de rouler autant sur le sable que sur la neige : ce qui pose un problème si on utilise les termes vélo des neiges ou vélo-neige.


Un participant à la discussion sur la page Facebook, après avoir vu une photo de l’engin, a fait une remarque de gros bon sens : le fatbike, c’est tout simplement un vélo.


En fait, le fatbike est un vélo tout-terrain, un VTT. La fiche du Grand Dictionnaire terminologique de l’Office québécois de la langue française nous induit en erreur en proposant comme équivalent « vélo à pneus surdimensionnés » (une définition plutôt qu’un terme) au lieu de VTT, tout simplement. Par ailleurs, fatbike est une marque déposée (et il faudrait l’écrire Fatbike). Or, on n’a pas à traduire les marques déposées (et c’est tout le problème de l’affichage anglicisant de Montréal à base de marques de commerce utilisées comme noms d’entreprises…). Il est étonnant que l’Office, qui a fait une campagne publicitaire pour inciter les commerçants affichant comme nom une marque de commerce en langue anglaise à y ajouter un terme générique français ou une description en français, n’ait pas proposé cette solution dans sa fiche, ce qui aurait pu donner les propositions suivantes : le vélo tout-terrain Fatbike, le VTT Fatbike, le vélo à pneus surdimensionnés Fatbike.


jeudi 8 janvier 2015

Lexicalement correct


Au lendemain de l’attentat contre Charlie Hebdo, voici un extrait de la réaction de mon ami Robert Chaudenson sur Mediapart :

Déformation professionnelle sans doute, ma première réaction fut en quelque sorte professionnelle et donc d'ordre lexical ; il me paraissait impropre voire scandaleux, à tort pour partie sans doute, d'entendre parler de « terrorisme » et plus encore de « violence aveugle » (formule reprise par N. Sarkozy), alors qu'il s'agissait purement et simplement d'un « assassinat politique », longuement médité et dont l'horreur le dispute à la stupidité. Je crois que seul Mélenchon a usé d’un tel terme qui me semble le seul possible !
– Robert Chaudenson, « Terrorisme ou assassinat politique ? »


mardi 6 janvier 2015

Gros bicycle


Cet hiver, à deux ou trois reprises, je croise un drôle de vélo, aux pneus surdimensionnés. Puis, il y a deux jours, je découvre que ce vélo est en fait un fatbike :



Le journaliste Jean-Michel Genois Gagnon donne les explications suivantes dans Le Soleil du 4 janvier :


Une nouvelle activité hivernale envahit les montagnes et les routes du Québec : le fatbike. Le vélo à pneus surdimensionnés a plus que jamais quitté les plages ensoleillées des côtes des États-Unis pour venir dompter les routes enneigées de l'Amérique du Nord.

Le fatbike est un vélo qui offre de nouveaux horizons aux amateurs de freeride. Ses roues larges – offrant une plus grande stabilité – permettent à son utilisateur d'explorer différents types de terrain.

Utilisé au départ pour mieux se déplacer sur le sable, le fatbike est aujourd'hui bien adapté pour les hivers québécois.

Des origines en Alaska
Le premier modèle de fatbike remonte dans les années 80, en Alaska, lors de la course Idita-bike. Certains concurrents avaient alors eu l'idée de souder deux jantes côte à côte et de coudre deux pneus ensemble, de façon à augmenter leur stabilité dans les sentiers de motoneige. Ce n'est que 25 ans plus tard, en 2005, qu'un manufacturier (Surly) décide de produire en série un modèle de fatbike.



Je m’empresse de vérifier si le Grand Dictionnaire terminologique de l’Office québécois de la langue française a une fiche fatbike. Bonne nouvelle, oui. Mauvaise nouvelle : au lieu de donner un équivalent français susceptible de remplacer le mot anglais, on offre plutôt une définition : « vélo à pneus surdimensionnés ». Dans ces conditions, l’emprunt fatbike a un bel avenir devant lui.

jeudi 1 janvier 2015

Dire la norme


Dans le billet précédent il était question de la séquestration du jury dans certains procès au Canada. Une simple vérification sur Google montre à quel point l’expression est courante dans les médias du Québec. Le Grand Dictionnaire terminologique de l’Office québécois de la langue français considère que cette expression est un anglicisme (fiche de 2007). On trouve dans les archives de l’Office cette capsule linguistique :


« ... les jurés ne sont pas séquestrés. »
Dans certains procès, le jury est isolé du monde extérieur le temps de délibérer pour en arriver à un verdict. Cet isolement est souvent très strict, les jurés devant être tenus éloignés de toute influence extérieure et surtout médiatique. C'est d'ailleurs pourquoi ils sont en général surveillés de très près et confinés dans des lieux (généralement un hôtel) où ils n'ont aucun contact avec l’extérieur (ni radio, ni journaux, ni télé), ne peuvent parler à d'autres personnes que les membres du jury, et ce, pendant toute la durée de leurs délibérations qui peut aller de quelques heures à plusieurs jours.
L'anglais to sequester et son dérivé sequestration ne doivent pas être rendus en français par séquestrer et séquestration. Ces termes n'ont pas ce sens en français, on emploiera plutôt isoler ou isolement, et pour insister sur le caractère très strict de cet isolement, on pourra préciser que le jury est coupé du monde extérieur, gardé sous surveillance policière, tenu dans un lieu sans contact avec l’extérieur, etc., ou parler d’isolement total, complet ou absolu.
Pour en savoir plus, nous vous invitons à consulter les fiches isoler et isolement de notre Grand dictionnaire terminologique ainsi que la capsule Des jurés qui composent un jury dans les archives des chroniques.
Source : http://www.oqlf.gouv.qc.ca/actualites/capsules_hebdo/actualites_terminolinguistique/luetentendu_sequestre_20070712.html


Selon le Trésor de la langue française informatisé, la séquestration est l’« action de priver une personne de sa liberté en la maintenant enfermée, isolée du monde extérieur ». En droit pénal, c’est l’« action de priver illégalement et arbitrairement quelqu'un de sa liberté, ce qui constitue un délit ou un crime. Synon. détention* arbitraire, internement arbitraire. » Même si la séquestration peut aussi être, par analogie et au figuré, le « fait d'être isolé ou de s'isoler, de se maintenir à l'écart de quelque chose », il me semble qu’il serait abusif de se servir de séquestration en parlant d’un jury maintenu incommunicado puisque, dans le domaine du droit, le mot a déjà un tout autre sens.


La fiche du GDT entre en contradiction avec le Dictionnaire de droit québécois et canadien de Hubert Reid :









Le juge dit le droit. L’Office est censé dire la norme. Dans le cas de l’expression séquestrer un jury, à qui se fier ?

On trouvera d’autres exemples de conflits de normes dans les billets suivants :

Clash de normes

Banderilles / 17



mardi 30 décembre 2014

Droits de l’homme : au Québec, on séquestre les jurés…




… à défaut d’avoir réussi l’an passé à séquestrer le Sacré Collège dans la Chapelle Sixteen :

Les cardinaux qui ont le droit de voter, soit ceux âgés de moins de 80 ans, sont séquestrés au Vatican et font un serment de confidentialité.
Le Devoir, 11 février 2013


Guy Bertrand fournit l’explication suivante :

Pour l’élection d’un pape, on isole les cardinaux, on ne les séquestre pas. Dans ce contexte, séquestrer est un anglicisme. En français, séquestrer est synonyme d’interner (autrefois, on séquestrait les malades mentaux). Le sens le plus courant de séquestrer est retenir quelqu’un contre son gré dans un lieu dont il ne peut s'échapper (séquestrer des otages).
– Guy Bertrand, Le français au micro


Toutefois, les cardinaux qui n'arrivaient pas à s'entendre pour élire un nouveau pape ont déjà été bel et bien séquestrés au moins à trois reprises. Citons un extrait de l’article « Conclave » de Wikipédia :

[…] l'élection mouvementée de Grégoire X, en 1271, […] avait duré près de 3 ans, et s'était tenue à Viterbe. Au bout de 2 ans et 9 mois, les autorités romaines avaient emmuré les cardinaux, ôté le toit de la salle où ils se réunissaient et menacé de les affamer pour les pousser à la résolution. Les cardinaux déléguèrent alors cette décision à une commission de six membres, aboutissant à une élection par « compromis ». En réalité, cette mesure avait déjà été prise auparavant, comme en 1241 par le sénateur Matteo Orsini et en 1254 par le podestà Bertolino Tavernieri, l'élection ayant lieu à cette époque dans la ville où était mort le pape. Pour éviter de nouvelles élections à rallonge, Grégoire X décide ainsi de garder le principe de l'enfermement. Il y ajoute de nouvelles restrictions : au bout de 5 jours de conclave, les cardinaux sont réduits au pain, au vin et à l'eau, ils doivent vivre en commun sans séparation dans la pièce — ce qui provoque un tollé parmi les cardinaux, mesures qui seront modifiées par la suite.



lundi 15 décembre 2014

À l’école de Bouvard et Pécuchet


Je viens de recevoir la dernière Infolettre Usito. Chaque livraison comporte son lot d’inepties. La dernière ne fait pas exception.


Je n’ai pas fait une lecture approfondie de ce placard informatisé. Voici deux éléments qui m’ont sauté aux yeux.


D’abord la phrase d’introduction : « Comme cadeau d’hôte ou dans le bas de Noël cette année, offrez Usito en cadeau! » Comme cadeau, offrez Usito en cadeau ! Pas fort. Quant à cadeau d’hôte, faut-il se surprendre que ce soit un calque de l’anglais host(ess) gift ?

A hostess gift is a gift which is given to the host or hostess of an event by guests. (Source : WiseGEEK)


Enfin, tout en bas de l’une des pages de l’Infolettre, on lit : « pas de mise à jour à déployer ». Déployer une mise à jour ! Et dire que ça veut nous apprendre à écrire.



mercredi 3 décembre 2014

Usito et sa fausse représentation du « français standard en usage au Québec »



Il y a déjà plusieurs semaines il y a eu, sur une page Facebook à laquelle je suis inscrit, une petite discussion suscitée par le commentaire suivant :

Lors de la période des questions de la séance extraordinaire de l’Assemblée nationale (2 juillet, à 13 h 30), le premier ministre a révélé qu’il comptait « faire des représentations » auprès du gouvernement fédéral. L’Opposition le questionnait sur la tragédie de Lac-Mégantic. Il faudrait que les conseillers du chef de gouvernement lui rappellent que « faire des représentations » est un calque de l’anglais. Tel est l’avis consigné dans la Banque de dépannage linguistique (OQLF), dans le Français au micro (Radio-Canada) et dans 1 500 pièges du français… On y conseille de remplacer l’expression par « intervenir », « faire des interventions », « faire des démarches », « exercer des pressions ». Pour sa part, Usito, le dictionnaire établi à l’Université de Sherbrooke, juge l’expression vieillie, sans plus. En somme, le premier ministre a tout avantage à l’abandonner immédiatement, en début de mandat car, tôt ou tard, il aura l'occasion de se reprendre.


J’ai immédiatement réagi par ce commentaire :

Sur quelle base Usito se permet-il d'affirmer que l'expression est vieillie ? Elle me semble au contraire bien vivante au Québec. Il faut se demander si Usito est capable d'assumer les usages québécois qu'il prétend décrire – non pas seulement décrire, mais en plus hiérarchiser !!!


Puis Lionel Meney (Dictionnaire québécois-français : pour mieux se comprendre entre francophones) a publié cette observation :

Usito se trompe totalement quand il dit que « faire des représentations » est vieilli. Dans la base de textes Eureka, on relève 5 500 cas d'emploi de l'expression dans la presse québécoise au cours des dernières années... Faire et adresser des représentations, dans ce sens, sont absents de la presse francophone européenne (site Eureka).


En consultant le Trésor de la langue française informatisé, on voit que « faire des représentations » est tout à fait standard, particulièrement dans le domaine diplomatique :

Adresser, faire des représentations à qqn. Aux représentations amicales qu'il me fit sur la gravité du risque et le peu de nécessité de m'y lancer, n'étant pas du métier, je répondis par un aveu succinct, mais expressif, de ma situation, de mon ennui, de mon impatience d'agir (SAINTE-BEUVE, Volupté, t. 1, 1834, p. 219). V. infra ex. de Chateaubriand.

[Dans la lang. diplom.] Observation comminatoire faite par un état ou un gouvernement à un autre. Le cabinet de Russie, à propos de l'arrestation du duc d'Enghien, adressa des représentations vigoureuses contre la violation du territoire de l'Empire (CHATEAUBR., Mém., t. 2, 1848, p. 176).


D’où peut donc bien venir l’affirmation d’Usito que l’expression « faire des représentations » est vieillie ? Comme disait la marquise, je vous le donne en dix, je vous le donne en cent, je vous le donne en mille : des dictionnaires de Paris !


On m'a en effet signalé que cette acception est bien marquée vx dans le Petit Robert et le Petit Larousse.


Encore un cas où Usito nous impose, sans le savoir, la norme européenne contre laquelle il n'arrête pas de se prononcer :

Dans les dictionnaires provenant de France, la mise en contexte est européenne. La littérature québécoise est absente, tout comme les mots spécifiquement utilisés chez nous […]. C'est acculturant » (La Croix, 5 juillet 2008).


Nos anticolonialistes sont donc des vecteurs inconscients du colonialisme linguistique de Paris... Misère !