mardi 11 décembre 2012

En-deçà des promesses / 1


Le français québécois est maintenant une variété du français complète et hiérarchisée et non plus démembrée et écartelée entre un modèle situé à Paris et un usage pratiqué au Québec. Le français québécois forme un tout, ayant comme niveau central un modèle valorisé de bon usage et possédant aussi d’autres usages, les uns plus soutenus, comme les niveaux littéraires et poétiques, et les autres plus relâchés, comme les niveaux familier, très familier (que certains peuvent appeler joual), vulgaire, etc. Il importe donc maintenant de décrire l’ensemble de ces usages, de les hiérarchiser entre eux et d’expliciter un modèle, le modèle standard propre aux Québécois, qu’ils doivent s’efforcer de maîtriser. […]
Le français québécois standard est présent dans les textes valorisés et dans des textes de qualité.
Le français au Québec, 400 ans d’histoire et de vie, Montréal, Fides, 2003, pp. 381 et 383


Je ne commenterai pas outre mesure cet exergue. Je me suis exprimé dans un autre billet sur la proposition étonnante de procéder à une hiérarchisation des usages linguistiques québécois plutôt que de les décrire. D’autres points de ce court extrait sont même susceptibles de causer l’ivresse des profondeurs. Ainsi en est-il du démembrement et de l’écartèlement du français québécois (syndrome post-Rocco Magnota, « le démembreur de Montréal » ?) ou de l’affirmation que « le français québécois standard est présent dans les textes valorisés et dans des textes de qualité » : textes valorisés par qui ? Qualité légitimée par qui ?


L’objet de la série de billets que je commence aujourd’hui est de voir, à la lumière d’un certain nombre d’exemples, si le Franqus – Dictionnaire de la langue française, le français vu du Québec – rend bien compte des usages linguistiques québécois comme l’ont annoncé ses promoteurs. J’aurais pu multiplier les exemples mais je m’en abstiens puisque je n’ai pas l’intention d’améliorer bénévolement un ouvrage déjà largement subventionné par les pouvoirs publics. Mes commentaires m’ont pour la plupart été inspirés par l’actualité. Mon point de départ est souvent des mots lus dans les journaux, principalement Le Devoir, ou des mots entendus à la radio ou à la télévision à partir desquels « à sauts et gambades » (Montaigne) j’ai effectué des vérifications dans le Franqus.



Remarque préliminaire : mes commentaires portent sur la version du Dictionnaire de la langue française, le français vu du Québec telle qu’elle était en ligne en novembre et en décembre 2012.





Les sacres

Quand on sait à quel point le traitement des sacres dans le Dictionnaire québécois d’aujourd’hui (le « Robert québécois ») a été critiqué, on comprend la prudence du Franqus sur cette question. Généralement, il se contente d’un simple renvoi : « Voir l’article thématique Les sacres en français québécois ».


Le hasard de mes lectures m’a fait récemment tomber sur plusieurs attestations des mots cristi et sacristi dans des œuvres de Maupassant. Or, cristi et sacristi, pourtant très courants au Québec, sont tous deux absents du Franqus. Au mot sacristie, le Franqus n’a même pas le renvoi « Voir l’article thématique Les sacres en français québécois ». Pourtant l’hexagonal Trésor de la langue française informatisé (TLFi) a une entrée sacristi avec une citation des frères Goncourt et une autre de Maupassant.


Les lacunes du dictionnaire qui prétend rendre compte des niveaux même « plus relâchés, comme les niveaux familier, très familier (que certains peuvent appeler joual), vulgaire » sont encore plus évidentes dans le traitement du vocabulaire sexuel.


Guidoune, guidounage

Voilà donc la flamboyante Ti-Lou, qui, sur un autre coup de tête, abandonne sa suite réservée à l’étage « international » du Château Laurier à Ottawa et délaisse ses clients pour partir, ses économies d’une vie de guidounage sous le bras, et refaire sa vie à Montréal avant que la vieillesse n’égrène ce qui lui reste, à 50 ans passés, de beauté.
Catherine Lalonde, « Michel Tremblay : les lignes de chance de Ti-Lou », Le Devoir, 10 novembre 2012


Comment un souverainiste convaincu peut-il se reconnaître dans un parti qui affirme haut et fort que la question nationale est obsolète ?
Et comment un défenseur de la droite peut-il porter avec fierté et conviction le flambeau de la « gauche efficace » ?
Si ce n’est pas du guidounage, ça, c’est quoi ?
Richard Martineau, Franc-parler (blog), Journal de Montréal, 11 janvier 2012


Selon le Trésor de la langue française au Québec, le mot guidoune est attesté depuis 1935, notamment dans une lettre de Saint-Denys-Garneau. Pas suffisant, semble-t-il, pour qu’on l’introduise dans le Dictionnaire de la langue française, le français vu du Québec.


Escorte

C’est la Commission Charbonneau qui m’a amené à vérifier si le Franqus avait bien enregistré le sens de prostituée donné à ce mot en français québécois – la réponse est non :

En plus des billets de hockey, repas au restaurant et bouteilles de vin, l'ingénieur superviseur Gilles Vézina, employé par la Ville de Montréal, s'est fait offrir les services d'une escorte par deux entrepreneurs en construction, des offres qu'il a toutefois repoussées.
Le Devoir, édition électronique, 13 novembre 2012


La plus ancienne attestation de ce sens d’escorte dans le Trésor de la langue française au Québec est de 2007. Mentionnons que le français européen utilise plutôt escort-girl, qui peut être simplifié en escort(e).


Le mot call-girl, lui aussi absent du Franqus, est attesté dans un « texte valorisé » et peut-être aussi « de qualité » pour reprendre les expressions du texte cité en exergue :

Jacques habite au douzième étage d'une maison appartement qui domine la ville depuis la montagne. C'est très chic, l'entrée, plein de fougères géantes, qui mène à l'ascenseur. Une maison de scripteurs, de commentateurs, de call-girls, tous des gens de spectacle. (Jacques Godbout, Salut Galarneau !, 1967)


En attendant la suite de mes commentaires, je vous propose de regarder cet extrait de l’émission On n’est pas couché où Jonathan Lambert tient le rôle d'une escort-girl :



À suivre

1 commentaire:

  1. Il y aurait une coquille dans cette phrase :

    "Pourtant l’hexagonal Trésor de la langue français informatisé (TLFi) a une entrée sacristi avec une citation des frères Goncourt et une autre de Maupassant."

    Amitié.
    M.

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