Hier avait lieu à l’Assemblée nationale du
Québec l’étude des crédits budgétaires du ministère
de la Culture et des Communications, volet protection et promotion de la langue
française. La porte-parole de la deuxième opposition, Mme Claire
Samson, a posé une question au président de l’Office québécois de la langue
française sur l’utilisation du mot place pour désigner un édifice à Laval :
La députée : … un citoyen avait porté plainte en prétendant
que Place Laval [sic; en fait, il s’agit
de Place Bell], c’était pas français…on peut pas désigner un immeuble comme
étant une place… Et l’Office lui a donné raison et a communiqué avec la ville
pour lui faire d’autres suggestions…. J’aimerais savoir quelle est la limite d’intervention
de l’OQLF dans un dossier comme celui-là où l’Office reconnaît que la
dénomination n’est pas correcte en français et que les autorités ne réagissent
pas. Est-ce que ça arrête là, le dossier est fermé, on en parle pus, on dit au
monsieur : ils veulent pas, merci, bonsoir, on passe à un autre appel…?
*
* *
Petite mise en contexte. L’Association pour l’usage
et le soutien de la langue française (Asulf) fait des pressions depuis des
années pour faire changer la dénomination Place Bell. Voici un résumé de ces
interventions que m’a fourni le président-fondateur de l’Asulf, le juge Robert
Auclair :
1. La
Ville de Laval a annoncé en 2012 la construction d’un complexe sportif et
multiculturel important de plus d’une centaine de millions de dollars, le
gouvernement du Québec y contribuant pour plus de 46 millions. Elle a dénommé
cette construction Place Bell.
2. L’Asulf
a signalé à la Ville et à ses partenaires que l’appellation choisie était
fautive en français et illégale en plus, le mot place ne pouvant se dire d’un
immeuble en vertu d’un avis de normalisation de la Commission de toponymie paru
à la Gazette officielle en 1980, puis en 1990. À noter que cet avis s’applique
à l’Administration au sens de la Charte, ce qui comprend les municipalités.
3. Vu
le refus de la Ville de modifier cette appellation, l’Asulf a porté plainte à
l’Office le 11 juillet 2012. Neuf mois plus tard, le 8 avril 2013, notre
association a reçu une réponse de cet organisme contenant, en particulier, les
deux alinéas suivants :
Dans la
situation faisant l’objet de votre plainte, l’utilisation du terme Place constitue effectivement une
impropriété.
En
conséquence, nous sommes intervenus auprès de la direction de la Ville de Laval
pour l’informer de la non-conformité de la dénomination projetée et lui
suggérer des pistes de solution pour le choix d’une dénomination plus
appropriée. Cette démarche nous mène à procéder à la fermeture de ce dossier.
4. Dans
cet avis, l’Office reconnaît que le mot place est une impropriété dans ce cas
et il suggère à la Ville « des pistes de solution » pour corriger
cette appellation, mais sans plus.
5. À
noter également que l’Office mentionne que sa démarche l’amène à la fermeture
du dossier, alors qu’il ne sait nullement si la Ville va abandonner ou non
l’appellation place et accepter l’une ou l’autre de ses suggestions. Il ferme
donc prématurément ce dossier puisqu’il ne s’assure pas du respect de la Charte
par la Ville avant de le fermer.
6. Si
l’Office a communiqué avec la Ville par la suite, comme il le prétend, il faut
constater que ses communications n’ont pas donné de résultats puisque la Ville
se fout encore de ses suggestions en 2017.
7. L’Asulf
n’a cessé depuis 2012 de talonner l’Office pour qu’il ordonne à la Ville
d’abandonner l’appellation choisie. Cette dernière a gardé la même appellation
et l’Office ne lui a pas ordonné de corriger la situation comme il doit le
faire en vertu de la Charte. Il n’a donc pas pris les moyens appropriés pour
faire respecter la loi.
8. Finalement,
de guerre lasse, l’Asulf s’est adressée au ministre responsable de
l’application de la Charte le 13 janvier 2017 lui exposant le problème et lui
demandant d’intervenir. Deux mois et demi plus tard, elle a reçu une courte
réponse signée par un sous-ministre, réponse difficile à comprendre et ne
corrigeant nullement la situation. […]
9. Le
24 avril 2017, notre association a récrit au ministre. […]
Une
telle situation constitue une violation évidente de la Charte qui perdure
depuis cinq ans et l’Office n’ordonne pas à la Ville de se conformer à la loi.
Pourquoi se comporte-t-il ainsi ? Pourquoi ?
*
* *
Le contexte étant maintenant décrit, voyons
la réponse que le président de l’Office a faite à la députée :
Robert Vézina : Dans un cas comme
ça, ce que vous venez de décrire, c’est à peu près la limite de nos
interventions. Il s’agit ici d’une question de qualité de la langue […] c’est
pas un article vraiment pénal, on pourrait pas arriver devant le DPCP avec un
dossier comme ça, ça serait pas retenu et en plus, mais là, on est dans une
question de norme, de valeur linguistique, c’est pas tout le monde qui est d’accord
avec cette prise de position-là, v’ dire, on a la Place des Arts, ah bon, c’est
une place publique mais on parle des fois de l’édifice à côté comme étant l’édifice
de la Place des Arts. Donc… Place Bell… hum pis au Québec y a beaucoup de places,
Place Bonaventure, Place Ville-Marie, Place Québec à Québec, il y avait Place
Laurier qui est maintenant devenue Laurier mais il y a toujours Place
Sainte-Foy, etc., donc ça fait partie de l’usage courant, han, donc là c’est
une question de norme, est-ce que là parce que l’Office a normalisé le sens de
place au sens d’espace public, est-ce que c’est le seul usage que la population
est en droit d’utiliser? C’est un long débat. Euh, donc, c’est assez délicat,
donc nous on peut pas aller plus loin que ça, on a effectivement, je vous confirme,
exprimé à la ville de Laval que c’était pas la meilleure expression au regard
de la qualité de la langue. Là, là, là, la décision leur revient.
L’intervention de l’Asulf, la question de la
députée portaient sur la dénomination d’un organisme de l’Administration. Or,
le président de l’Office a fait dévier le débat vers la langue courante : « est-ce que c’est le seul usage que le
population est en droit d’utiliser ? » Là n’est pas la question,
M. le Président ! Il s’agit de la langue officielle, de la langue de
l’Administration. Si le président de l’Office n’est pas d’accord avec l’article
de la loi qui ordonne aux organismes de l’Administration d’utiliser les termes
normalisés par son Office, qu’il les « dé-normalise » ou qu’il
propose à son ministre de changer la loi ! Pour l'instant, son mandat est de faire appliquer la loi, pas de faire de l'objection de conscience.
On notera aussi que les exemples servis par
le président sont plutôt anciens : Place Bonaventure, Place des Arts, etc.
Depuis, bien des fausses places ont disparu du paysage québécois. Il n’y a
pas eu à Québec de Place de la Justice : l’Asulf a réussi à faire valoir
son point de vue et on a conservé l’appellation de Palais de justice. Et le président donne lui-même le contre-exemple de Place Laurier devenue Laurier Québec.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire