lundi 8 janvier 2018

L’adaptation d’un texte suisse


Ce matin, un article du Devoir repris du quotidien de Lausanne Le Temps, « Parlez-vous avec vos doigts ? » (titre original : « Quand les doigts valent mieux qu’un long discours »). Étonné de rencontrer le mot égoportrait dans un texte suisse (« les égoportraits de majeurs tendus devant la Trump Tower »), je suis allé vérifier dans l’original : « les selfies de majeurs tendus devant la Trump Tower ». Je découvre qu’on a aussi francisé crowdfunding (en italiques dans l’original) en sociofinancement. Je savais que les Américains republiaient en orthographe américaine les best-sellers* anglais mais j’ignorais qu'une pratique analogue avait cours au Québec.


Plus loin dans l’article on trouve le mot box-office que Le Devoir n’a pas traduit puisque le Grand Dictionnaire terminologique (GDT) de l’Office québécois de la langue française (OQLF) estime qu’il « s’inscrit dans la norme sociolinguistique du français au Québec ». En fait, c’est un mot du français standard, point. À ce titre, il est enregistré dans des dictionnaires comme le Larousse. On s’étonnera toutefois de la formulation de la définition du GDT : « classement selon sa popularité d'un film, d'une pièce de théâtre, d'un spectacle ou d'une vedette, établi en fonction du total des recettes générées par ceux-ci. » Dans ce sens-ci, générer constitue un anglicisme (non répertorié par le GDT ou la BDL). Rappelons ce qu’en dit l’Académie (6 octobre 2016) :

Comme les chats, le verbe générer semble doué de plusieurs vies. Il apparaît une première fois au tournant du xiie siècle, avec le sens de « régénérer quelqu’un par la vertu du baptême », et remplaçait alors une ancienne forme gendrer. Cette première vie s’achève avec le Moyen Âge. Générer revient au xvie siècle avec le sens d’« engendrer, produire », mais ces derniers termes, bien plus en usage, vont vite l’éliminer. Nouvelle naissance au siècle dernier dans le domaine des mathématiques et de la linguistique, où il est cette fois emprunté de l’anglais to generate. On peut ainsi dire qu’une droite se déplaçant selon un certain axe génère un cône ou qu’une langue, avec un nombre de règles fini, peut générer un nombre infini de phrases. On ne s’acharnera pas contre ce malheureux mot dont la force vitale étonne et on ne condamnera donc pas son emploi dans ces deux domaines spécialisés, mais on rappellera que dans tous les autres cas, on doit préférer à cet anglicisme des formes comme engendrer, faire naître, provoquer, causer, produire, etc.


Voici un tableau présentant les autres anglicismes de l’article du Devoir avec, dans la seconde colonne, des commentaires sur le traitement que leur réserve le GDT (j’omets des mots acceptés en français depuis longtemps comme slogan ou marketing) :

millénariaux (texte d’origine : millennials, en italiques)
Terme proposé par l’Office en 2016 pour remplacer millénial. La fiche du GDT ajoute : « L'emprunt intégral adapté écho-boomer s'inscrit dans la norme sociolinguistique du français au Québec » : c’est bon à savoir – d’autant plus que l’emprunt n’est que partiellement adapté : boomer et non boumeur.
cool (« posture cool »)
Le GDT ne traite que le verbe to cool ou des expressions où le mot apparaît en fonction adjectivale mais jamais l’adjectif cool tout seul.
t-shirt
Accepté par le GDT. La fiche de 2014 précise (enfin !) que le mot gaminet n’a jamais été un québécisme puisqu’il est une proposition du journaliste français Jacques Cellard.
smartphone
GDT : téléphone intelligent, smartphone ne s’inscrivant pas « dans la norme, etc. » FranceTerme propose terminal de poche, que ne mentionne pas le GDT, et ordiphone, que le GDT donne comme synonyme. Encore un exemple de coopération linguistique ! Cliquer ici pour lire un billet de Robert Chaudenson sur ce thème
designer
Accepté par le GDT. Apparemment le mot ne présente pas de problème d’« intégration au système linguistique du français » selon la formulation de la nouvelle Politique de l’emprunt linguistique. On aimerait bien savoir quelle prononciation l’Office propose et si elle est conforme au système de correspondances phonèmes-graphèmes du français (poser la question, c’est déjà y répondre, n’est-ce pas ?)
shaka (le « shaka » des surfeurs)
Absent
surfeurs
Accepté, avec la mise en garde : « l’emprunt intégral surfer est à éviter » !
papy-boomer
Absent du GDT. Mais ce dernier propose des équivalents pour papy-boom comme boum du troisième âge ou boum des aînés (!) où boum est du masculin (pour éviter toute confusion avec une boum de vieux ?) Le GDT accepte baby-boom mais pas papy-boom, allez savoir pourquoi !
« (le fameux) check, ou fist bump, (qui consiste à se saluer en cognant les poings.
Absents en ce sens du GDT.
hip-hop
Accepté par le GDT pour désigner le mouvement culturel.

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* Mot à éviter selon le GDT « puisqu'il est mal adapté au français sur les plans graphique et phonétique ». Remarque curieuse que le GDT omet à propos du mot designer.


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