Ce
matin, un article du Devoir repris du
quotidien de Lausanne Le Temps, « Parlez-vous avec vos doigts ? » (titre original : « Quand les doigts valent mieux qu’un long discours »). Étonné de rencontrer le mot égoportrait dans un texte suisse (« les égoportraits de majeurs tendus devant
la Trump Tower »), je suis allé vérifier dans l’original :
« les selfies de majeurs tendus
devant la Trump Tower ». Je
découvre qu’on a aussi francisé crowdfunding
(en italiques dans l’original) en sociofinancement. Je savais que les
Américains republiaient en orthographe américaine les best-sellers* anglais
mais j’ignorais qu'une pratique analogue avait cours au Québec.
Plus loin dans
l’article on trouve le mot box-office
que Le Devoir n’a pas traduit puisque
le Grand Dictionnaire
terminologique (GDT) de l’Office québécois de la langue française (OQLF) estime
qu’il « s’inscrit dans la norme sociolinguistique du français au Québec ».
En fait, c’est un mot du français standard, point. À ce titre, il est
enregistré dans des dictionnaires comme le Larousse. On s’étonnera toutefois de
la formulation de la définition du GDT : « classement selon sa popularité d'un film, d'une pièce de théâtre,
d'un spectacle ou d'une vedette, établi en fonction du total des recettes générées
par ceux-ci. » Dans ce sens-ci, générer
constitue un anglicisme (non répertorié par le GDT ou la BDL). Rappelons ce qu’en dit l’Académie (6 octobre 2016) :
Comme les chats, le verbe générer semble doué de plusieurs vies. Il
apparaît une première fois au tournant du xiie siècle, avec le sens de « régénérer
quelqu’un par la vertu du baptême », et remplaçait alors une ancienne forme gendrer. Cette première vie s’achève avec le
Moyen Âge. Générer revient
au xvie siècle avec le sens
d’« engendrer, produire », mais ces derniers termes, bien plus en
usage, vont vite l’éliminer.
Nouvelle naissance au siècle dernier dans le domaine des
mathématiques et de la linguistique, où il est cette fois emprunté de l’anglais to
generate. On peut ainsi dire qu’une droite se déplaçant
selon un certain axe génère un cône ou qu’une langue, avec un
nombre de règles fini, peut générer un nombre infini de phrases. On ne
s’acharnera pas contre ce malheureux mot dont la force vitale étonne et on ne
condamnera donc pas son emploi dans ces deux domaines spécialisés, mais on
rappellera que dans tous les autres cas, on doit préférer à cet anglicisme des
formes comme engendrer, faire naître, provoquer,
causer, produire, etc.
Voici
un tableau présentant les autres anglicismes de l’article du Devoir avec, dans la seconde colonne,
des commentaires sur le traitement que leur réserve le GDT (j’omets des mots
acceptés en français depuis longtemps comme slogan
ou marketing) :
millénariaux
(texte d’origine : millennials,
en italiques)
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Terme
proposé par l’Office en 2016 pour remplacer millénial. La fiche du GDT ajoute : « L'emprunt intégral adapté écho-boomer s'inscrit dans la norme sociolinguistique du français
au Québec » : c’est bon à savoir – d’autant plus que l’emprunt
n’est que partiellement adapté : boomer
et non boumeur.
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cool
(« posture cool »)
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Le
GDT ne traite que le verbe to cool
ou des expressions où le mot apparaît en fonction adjectivale mais jamais l’adjectif
cool tout seul.
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t-shirt
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Accepté
par le GDT. La fiche de 2014 précise (enfin !) que le mot gaminet n’a jamais été un québécisme
puisqu’il est une proposition du journaliste français Jacques Cellard.
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smartphone
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GDT :
téléphone intelligent, smartphone ne s’inscrivant pas « dans
la norme, etc. » FranceTerme propose terminal
de poche, que ne mentionne pas le GDT, et ordiphone, que le GDT donne comme synonyme. Encore un exemple de
coopération linguistique ! Cliquer ici pour lire un billet de Robert
Chaudenson sur ce thème
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designer
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Accepté
par le GDT. Apparemment le mot ne présente pas de problème d’« intégration
au système linguistique du français » selon la formulation de la
nouvelle Politique de l’emprunt
linguistique. On aimerait bien savoir quelle prononciation l’Office propose
et si elle est conforme au système de correspondances phonèmes-graphèmes du
français (poser la question, c’est déjà y répondre, n’est-ce pas ?)
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shaka
(le « shaka » des surfeurs)
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Absent
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surfeurs
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Accepté,
avec la mise en garde : « l’emprunt intégral surfer est à éviter » !
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papy-boomer
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Absent
du GDT. Mais ce dernier propose des équivalents pour papy-boom comme boum du
troisième âge ou boum des aînés (!)
où boum est du masculin (pour éviter
toute confusion avec une boum de vieux ?) Le GDT accepte baby-boom mais pas papy-boom, allez savoir
pourquoi !
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« (le fameux) check, ou fist bump, (qui consiste à se saluer en
cognant les poings.)»
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Absents
en ce sens du GDT.
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hip-hop
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Accepté
par le GDT pour désigner le mouvement culturel.
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*
Mot à éviter selon le GDT « puisqu'il est mal
adapté au français sur les plans graphique et phonétique ». Remarque
curieuse que le GDT omet à propos du mot designer.
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