lundi 10 décembre 2018

Un dictionnaire à moitié habillé


Les anciens Canadiens sont souvent montrés sur des gravures en habits du pays, vêtus de laine tissée, les pieds protégés par des bottes sauves, couverts en hiver de leur capot de chat ou de leur bougrine. Du vêtement traditionnel, on fit un outil politique, par exemple lors des soulèvements de 1837-1838, alors que porter les étoffes du pays et la ceinture fléchée tient d’une volonté bien affirmée d’affirmer ses convictions. Loin de moi l’idée d’en revenir à la tuque d’un vieux de 1837, mais il n’en demeure pas moins que le vêtement, de tout temps, affirme une position, une condition. 
‑ Jean-François Nadeau, « Le paravent des vêtements », Le Devoir, 10 décembre 2018


L’article de Jean-François Nadeau me servira de prétexte pour jeter un coup d’œil rapide et partiel sur le traitement que réserve le Grand dictionnaire terminologique (GDT) de l’Office québécois de la langue française (OQLF) à un aspect de la culture traditionnelle du Québec. Sur les cinq termes mentionnés par le journaliste, seuls deux apparaissent dans le GDT.

Terme
Traité par le GDT ?
Bottes sauves
Non
   bottes sauvages
Non
Capot de chat
Non
Bougrine
Non
Ceinture fléchée
Oui
Tuque
Oui

Je n’ai trouvé aucune attestation de bottes sauves. Il doit plutôt s’agir de bottes sauvages, terme très bien documenté dans notre ancienne littérature. L’abbé Casgrain écrit (Une excursion à l’Île-aux-Coudres, 1885) : « L'habillement des hommes consistait dans un gilet d'étoffe grise, un pantalon de toile du pays, et une paire de bottes sauvages, qui se rattachaient au jarret par une lanière ou babiche de peau d'anguille ou de marsouin » (cité dans le Trésor de la langue française au Québec). Dans un document de Louis Morin, on trouve l’explication suivante : « Voici comment se fabriquait une paire de bottes sauvages. On découpait, selon un modèle, un morceau de cuir dans le ‘coudrier’ pour faire le fond du soulier. Le ‘coudrier’ est la partie du dos de l'animal; c'est là que le cuir est le plus résistant. Puis on plissait le devant avec de la ‘babiche’ qui était une lisière de peau de mouton qu'on mouillait et qu'on roulait sur son genou pour en faire une corde » (cité d’après le TLFQ).


Voyons maintenant les deux termes traités par le GDT. Pour ceinture fléchée, terme qui n’a été traité qu’en 2013, nous avons droit à un article encyclopédique qui nous amène jusque chez les Métis de l’Ouest canadien. Quant à tuque, nous avons droit à deux fiches contradictoires : celle de l’Office, qui privilégie bien évidemment le québécisme tuque, et celle des Éditions Québec Amérique, qui ne mentionne que le terme bonnet :


  

J’ai souvent noté les lacunes du GDT en matière de néologie. Il semblerait que le traitement des termes québécois vieillis, qui n’est évidemment pas la priorité de l’OQLF, ne loge pas à meilleure enseigne.
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* Louis Morin, Le calendrier folklorique de Saint-François-de-la-Rivière-du-Sud, La Pocatière, La Société historique de la Côte-du-Sud, 1972, 148 p. (Coll. Cahiers d'Histoire, 5).


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