Le
chanoine T***, qui fut de nombreuses années archiviste du Petit Séminaire de
Québec, m’a montré l’autre jour une lettre, fort ancienne d’aspect et dont un
érudit local a déjà attribué la rédaction à Pascal sans qu’aucune preuve solide
vînt appuyer cette opinion. Avec la permission du bon chanoine, j’en ai pris
copie pour pouvoir vous faire part de cette curiosité.
* * *
Ma Révérende Mère,
Dans un petit mémoire que vous présentâtes en
la Sorbonne Nouvelle, vous soutîntes la proposition : quod distinguire verbos cismarinos et verbos ultramarinos non potest
quia verbi cismarini et ultramarini in sermone quebecensi intricantur.
Voilà, ma Mère, qui est admirable. L’absence de
distinction est subtile et habile, j’en conviens, et j’avoue que je ne m’y
attendais pas. Par votre adresse, vous évitez les cavillations dans lesquelles
tombent si souvent les jésuites et leur école de Molina, n’en déplaise à votre
confesseur, le P. Bérézina, que je vous engage à traiter avec respect
sinon avec crainte et défiance comme il convient de tous les jésuites. Il m’est
revenu justement l’autre jour que, jusque dans la Cour de Rome, le seul nom du
P. Bérézina fait craindre les plus grands malheurs**.
Distinguire
non potest. Que ne vous tîntes-vous avec fermeté dans la même
position tout au long de votre écrit !
Mais il fallut que vous réintroduisissiez
quelques pages plus loin l’étonnante distinction entre mots cismarins et
ultramarins, dont vous veniez pourtant avec éclat de montrer l’inanité, et que
vous la maintinssiez dans le reste de votre opuscule.
En terminant, Révérende Mère, je vous conseille
de vous garder de vous trop confire en dévotion car voilà un sirop qui assez
communément tourne à l’aigre.
Je vous prie de transmettre mes salutations à
votre confesseur.
__________
Notes philologiques :
* Dans l’Église de Rome, la Provinciale est une sorte
d’higoumène ou d’archimandrite féminin ayant autorité sur plusieurs couvents de
nonnes.
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