— De la féminisation des noms à la désexisation des textes
La féminisation des noms de professions, fonctions, grades ou titres s’est posée lorsque le Parti québécois est arrivé au pouvoir en 1976. Plusieurs femmes avaient été élues députées et certaines nommées au Cabinet des ministres. L’Assemblée nationale a alors demandé un avis officiel à l’Office de la langue française.
Avant que l’OLF rende son avis, dans l’avant-propos de son rapport Pour les Québécoises : égalité et indépendance, le Conseil du statut de la femme (1978 : xxi) indique que « la “désexisation” de la langue française s’impose et devrait être un objectif de l’Office de la langue française ».
L’avis de l’Office de la langue française (OLF) (Gazette officielle, 28 juillet 1979) sera le premier de plusieurs documents produits par l’organisme sur la féminisation et sur l’écriture non sexiste. L’OLF recommande l’utilisation des formes féminines dans tous les cas possibles, soit à l’aide du féminin usité (couturière, infirmière, avocate), soit à l’aide du terme épicène marqué par un déterminant féminin (une journaliste, une architecte, une ministre), soit par la création spontanée d’une forme féminine qui respecte la morphologie française (députée, chirurgienne, praticienne), soit par l’adjonction du mot femme (femme-magistrat, femme-chef d’entreprise, femme-ingénieur). Cette dernière recommandation sera par la suite abandonnée parce qu’elle aura été jugée « inopérante en matière d’égalité » (Vachon-L’Heureux, 2004).
Dans les années qui ont suivi, l’avis de l’OLF a été généralement bien accueilli car il accompagnait un mouvement général de promotion de la femme. Il y a bien sûr eu quelques protestations. Jeanne Sauvé, quand elle a été élue au poste de président de la Chambre des communes en 1980, a refusé la féminisation de son titre. En 1984, quand elle a été nommée au poste de gouverneur général, elle a refusé le titre de gouvernante générale malgré le précédent historique de quatre femmes qui ont porté le titre aux Pays-Bas. Quatre femmes ont par la suite occupé ce poste sans en féminiser le titre. Un contre-exemple illustrera le rôle important de la personnalité dans l’implantation d’une nouvelle norme sociolinguistique. Andrée Boucher, élue en 1985, a tenu à se faire appeler mairesse de Sainte-Foy en banlieue de Québec. Dans la ville voisine de Sillery, Margaret F. Delisle, élue la même année, a refusé la féminisation de son titre. La forte personnalité de la première a rapidement imposé le féminin à tel point que, lorsque Montréal a élu à ce poste en 2017 la première femme de son histoire, elle a été spontanément appelée mairesse.
Comme il fallait s’y attendre, les formes en –eur et en –teur ont causé quelques problèmes et on a noté des flottements et des changements de cap au fil des ans. D’abord accepté, le féminin metteure (en scène) a cédé la place à metteuse. Pendant longtemps on n’a admis que le féminin auteure, maintenant on accepte aussi autrice. D’abord officiellement recommandé, réviseure est désormais considéré comme québécisme et le GDT note que réviseuse est la « forme régulière ». Dans quelques cas en effet on accepte deux formes de féminin : assesseure/ assesseuse; superviseuse (« forme régulière »)/ superviseure ; sculptrice et sculpteure mais pas sculpteuse (« pas bien formée »). L’Office établit une différence entre enquêteuse (pour une enquête policière) et enquêtrice (dans le domaine de la statistique). Par ailleurs, commis et membre sont désormais considérés comme épicènes.
L’Administration, en raison de sa responsabilité en matière d’affichage de postes, a demandé l’avis de l’OLF sur les principes de base de la féminisation des textes. L’OLF a recommandé (Gazette officielle, 28 mars 1981) de recourir à des termes génériques englobant hommes et femmes (personne, gens, personnel, fonctionnaire, stagiaire, etc.), précédés de l’article approprié, ou l’utilisation d’appellations au masculin et au féminin, en toutes lettres. L’OLF ajoutait que la langue offre une « variété de procédés stylistiques » : le recours à des formulations impersonnelles; ou au pluriel pour les appellations d’emploi épicènes; ou encore au « genre indifférencié (masculin) appliqué au poste plutôt qu’à la personne ». Il suggérait en outre « le recours à la note explicative, en début de texte, pour signifier clairement que la forme masculine non marquée désigne aussi bien les femmes que les hommes, lorsque les recommandations précédentes ne peuvent s’appliquer. » Cette dernière façon de faire est devenue désuète. Quant au masculin générique, s’il a fini par soulever la controverse, c’est moins par l’action de l’OLF que par l’intervention malheureuse de l’Académie française en 1984 désignant le masculin comme genre neutre.
Puis l’OLF a publié successivement Titres et fonctions au féminin : essai d’orientation de l’usage (I986), Au féminin, guide de féminisation des titres, des fonctions et des textes (1991), Avoir bon genre à l’écrit : guide de rédaction épicène (2006) avant de publier en 2015 (révision en 2018) un avis de recommandation, Féminisation des appellations de personnes et rédaction épicène.
L’utilisation particulière faite par l’Office, depuis 2006, de l’adjectif épicène ne correspond pas au sens des dictionnaires généraux selon lesquels il qualifie un nom « qui désigne aussi bien le mâle que la femelle d’une espèce » (Petit Robert). Aussi l’OLF a-t-il fini par sentir le besoin de le définir dans son propre dictionnaire : « La rédaction épicène est une pratique d’écriture qui vise à assurer un équilibre dans la représentation des hommes et des femmes dans les textes ». La Banque de dépannage linguistique de l’OLF précise : on « utilise, lorsqu’il est question de personnes, des désignations féminines et masculines coordonnées (par exemple les lectrices et les lecteurs), la formulation neutre (notamment par l’emploi de tournures épicènes ou de noms collectifs, par exemple le lectorat) et, avec parcimonie, le masculin générique ». Un critique (Laflèche, 2020) a fait valoir qu’il vaudrait mieux parler de style bigenre.
En marge des prises de position de l’OLF, on a assisté à la publication de quelques textes militants dont on retiendra la contribution de Céline Labrosse (1996) et les propositions plus innovantes de démasculinisation de la langue et de non-essentialisation du genre des groupes Les 3 Sex* et Club Sexu (2021) : iel, amix, celleux, etc. Ces formes se manifestent parfois dans des textes littéraires. Par exemple, dans le roman L’horizon des événements, un professeur déclare : « Corriger l’écriture inclusive, c’est l’enfer. Un sabir indéchiffrable. Ielle(s), les élu∙e∙s départementaux∙ales… Les celleux… Les ceuses ? Ça me prend quatre fois plus de temps par copie. » Un autre lui répond : « La seule chose que l’écriture inclusive n’inclut pas, c’est le style. C’est lourd, c’est lourd… Crisse que c’est beige. C’est pus de la littérature, c’est des documents de la Ville de Montréal » (Biz, 2021 : 33).
À suivre
Références
BIZ (Sébastien Fréchette) (2021), L’horizon des événements, Montréal, Leméac (roman)
CONSEIL DU STATUT DE LA FEMME (1978). Pour les Québécoises: égalité et indépendance, Québec, Éditeur officiel.
LABROSSE, Céline (1996), Pour une grammaire non sexiste, Montréal, Remue-ménage.
Les 3 Sex* et Club Sexu (2021), Apprendre à nous écrire: guide et politique d’écriture inclusive, Montréal
VACHON-L’HEUREUX, P. (2004), «Féminisation des titres et des textes», Correspondance 10/2 (Centre collégial de développement de matériel didactique).
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