lundi 19 août 2024

Chronique d’une chronique

 

Une fois de plus me voici à commenter la chronique « entre l’essai et la vulgarisation scientifique » publiée hebdomadairement dans Le Devoir par une professeure de linguistique.

Samedi dernier elle a fait une incursion aussi rapide que superficielle dans le domaine de la démographie linguistique :

Dans l’ouvrage Le français en déclin ? Repenser la francophonie québécoise, le sociologue Jean-Pierre Corbeil et ses collègues portent un regard critique sur le choix des indicateurs pour mesurer la situation linguistique.

On se base sur la langue parlée à la maison, alors que le domaine de la Charte de la langue française est la langue publique : « Pour bien marquer le déclin du français au Québec, de nombreux observateurs et acteurs de premier plan ont énoncé à plusieurs reprises la proportion de 48 % de la population parlant le français à la maison à Montréal. Mais d’où vient ce nombre ? De fait, il réfère uniquement à la part de la population qui parle uniquement le français le plus souvent à la maison sur l’île de Montréal. »

La chroniqueuse se base sur son histoire personnelle pour contester la validité du critère de la langue parlée à la maison : « ma famille parlait arabe à la maison, mais le français est notre langue à tous dans la sphère publique. » Une anecdote n’est pas une preuve scientifique (même en sciences molles). Pour juger des travaux de Jean-Pierre Corbeil et de ses collaborateurs, on lira avec profit l’analyse qu’en a faite le démographe Michel Paillé en cliquant ici.

La chroniqueuse fait remarquer que « le domaine de la Charte de la langue française est la langue publique » sans se demander s’il peut y avoir une langue publique qui ne soit parlée par personne à la maison. C’est passer sous silence que, dans le cas des langues en voie de disparition, la première étape d'une politique linguistique digne de ce nom est de rétablir la transmission intergénérationnelle. Jean-Claude Corbeil, l’un des penseurs des lois 22 et 101, et Lynn Drapeau, sociolinguiste spécialiste du montagnais (innu), ont proposé un plan qui comprend en premier lieu des mesures pour faciliter l’utilisation des langues autochtones dans la vie privée des familles et des collectivités (dans mon livre Les langues autochtones du Québec, Conseil de la langue française, 1992). Rappelons que l’Irlande, peu après son indépendance, a pris des mesures pour renforcer l’usage de l’irlandais dans les foyers. L’état du français au Québec ne justifiait pas d’aller aussi loin, ce qui n’enlève rien, bien au contraire, à l’intérêt de suivre l’évolution de la situation du français comme langue parlée au foyer.

La chroniqueuse ressort le thème de la féminisation, arlésienne de l’argumentaire endogéniste : « la féminisation est toujours l’objet de discussions en France ». Il y a longtemps que les féminins la députée, la ministre, la juge, la procureure, etc., sont passés dans l’usage en France. J’ai même entendu sur des chaînes françaises, pendant les récents Jeux olympiques, le féminin judokate qu’ignorent Radio-Canada, Usito et le Grand Dictionnaire terminologique (GDT) de l’Office québécois de la langue française (OQLF).

Parmi les « éléments entourant (!) la norme du français québécois », la chroniqueuse ne pouvait omettre les dictionnaires, d’où un hymne à Usito « dictionnaire général qui décrit le registre standard du français québécois » : « aucune communauté francophone hors de France n’avait encore produit de dictionnaire général (et non différentiel) qui décrive en priorité sa variété géographique de français. » Usito est-il un dictionnaire entièrement produit au Québec ? « Usito reprend le plus souvent les analyses d’un dictionnaire de France, le TLF [Trésor de la langue française] de Nancy » affirme le linguiste Claude Poirier (Le Devoir, 14 août 2013). Pour Lionel Meney, professeur émérite de linguistique à l’Université Laval, « ce n'est pas un dictionnaire général et complet du français québécois. Il n'est pas fondé sur la seule base d'un corpus de textes québécois. Il utilise massivement le Trésor de la langue française (TLF) […]. Reprenant l'architecture et les termes de ce dictionnaire, tronquant les citations d'auteurs français pour en extraire des syntagmes (groupes de mots, locutions, expressions), il n'a pas réussi à traiter correctement les québécismes » (blog Carnet d’un linguiste, 1er novembre 2019). On trouvera une liste de critiques en cliquant ici.

Usito, « dictionnaire général (et non différentiel) ». Usito est-il un dictionnaire non différentiel? Impossible de le consulter sans tomber sur les marques « Q/C » (« particularisme de l’usage québécois et canadien »), « F/E » (« particularisme de l’usage français et européen »), « anglicisme critiqué » ou encore la remarque « l’emploi est parfois critiqué comme synonyme non standard de… ».

 

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