Une fois de plus me voici à
commenter la chronique « entre l’essai et la vulgarisation scientifique »
publiée hebdomadairement dans Le Devoir par une professeure de
linguistique.
Samedi dernier elle a fait
une incursion aussi rapide que superficielle dans le domaine de la démographie linguistique :
Dans
l’ouvrage Le français en déclin ? Repenser la francophonie québécoise,
le sociologue Jean-Pierre Corbeil et ses collègues portent un regard critique
sur le choix des indicateurs pour mesurer la situation linguistique.
On
se base sur la langue parlée à la maison, alors que le domaine de la Charte de
la langue française est la langue publique : « Pour bien marquer le
déclin du français au Québec, de nombreux observateurs et acteurs de premier
plan ont énoncé à plusieurs reprises la proportion de 48 % de la
population parlant le français à la maison à Montréal. Mais d’où vient ce
nombre ? De fait, il réfère uniquement à la part de la population qui
parle uniquement le français le plus souvent à la maison sur l’île de Montréal. »
La chroniqueuse se base sur
son histoire personnelle pour contester la validité du critère de la langue
parlée à la maison : « ma famille parlait arabe à la maison, mais le
français est notre langue à tous dans la sphère publique. » Une anecdote n’est
pas une preuve scientifique (même en sciences molles). Pour juger des travaux
de Jean-Pierre Corbeil et de ses collaborateurs, on lira avec profit l’analyse
qu’en a faite le démographe Michel Paillé en cliquant ici.
La chroniqueuse fait
remarquer que « le domaine de la Charte de la langue française est la
langue publique » sans se demander s’il peut y avoir une langue publique
qui ne soit parlée par personne à la maison. C’est passer sous silence que, dans
le cas des langues en voie de disparition, la première étape d'une politique linguistique digne de ce nom est de rétablir la
transmission intergénérationnelle. Jean-Claude Corbeil, l’un des penseurs des
lois 22 et 101, et Lynn Drapeau, sociolinguiste spécialiste du montagnais
(innu), ont proposé un plan qui comprend en premier lieu des mesures pour
faciliter l’utilisation des langues autochtones dans la vie privée des familles
et des collectivités (dans mon livre Les langues autochtones du Québec,
Conseil de la langue française, 1992). Rappelons que l’Irlande, peu après son
indépendance, a pris des mesures pour renforcer l’usage de l’irlandais dans les
foyers. L’état du français au Québec ne justifiait pas d’aller aussi loin, ce
qui n’enlève rien, bien au contraire, à l’intérêt de suivre l’évolution de la
situation du français comme langue parlée au foyer.
La chroniqueuse ressort le
thème de la féminisation, arlésienne de l’argumentaire endogéniste : « la
féminisation est toujours l’objet de discussions en France ». Il y a
longtemps que les féminins la députée, la ministre, la juge, la procureure,
etc., sont passés dans l’usage en France. J’ai même entendu sur des chaînes
françaises, pendant les récents Jeux olympiques, le féminin judokate qu’ignorent
Radio-Canada, Usito et le Grand Dictionnaire terminologique (GDT) de l’Office
québécois de la langue française (OQLF).
Parmi les « éléments
entourant (!) la norme du français québécois », la chroniqueuse ne pouvait
omettre les dictionnaires, d’où un hymne à Usito « dictionnaire général
qui décrit le registre standard du français québécois » : « aucune
communauté francophone hors de France n’avait encore produit de dictionnaire
général (et non différentiel) qui décrive en priorité sa variété géographique
de français. » Usito est-il un dictionnaire entièrement produit au Québec ?
« Usito reprend le plus souvent les analyses d’un dictionnaire de France,
le TLF [Trésor de la langue française] de Nancy » affirme le linguiste
Claude Poirier (Le Devoir, 14 août 2013). Pour Lionel Meney,
professeur émérite de linguistique à l’Université Laval, « ce n'est pas un dictionnaire général et complet du
français québécois. Il n'est pas fondé sur la seule base d'un corpus de textes
québécois. Il utilise massivement le Trésor de la langue française (TLF)
[…]. Reprenant l'architecture et les termes de ce dictionnaire, tronquant les
citations d'auteurs français pour en extraire des syntagmes (groupes de mots,
locutions, expressions), il n'a pas réussi à traiter correctement les
québécismes » (blog Carnet d’un linguiste, 1er novembre
2019). On trouvera une liste de critiques en cliquant ici.
Usito, « dictionnaire
général (et non différentiel) ». Usito est-il un dictionnaire non
différentiel? Impossible de le consulter sans tomber sur les marques « Q/C »
(« particularisme de l’usage québécois et canadien »), « F/E »
(« particularisme de l’usage français et européen »), « anglicisme
critiqué » ou encore la remarque « l’emploi est parfois critiqué
comme synonyme non standard de… ».
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