mercredi 25 mai 2011

Diccionario del español de México /1



[…] les autres langues européennes transplantées dans les Amériques ont été décrites dans des dictionnaires : l’espagnol du Mexique pour l’Amérique centrale et l’Amérique latine et le portugais brésilien pour le Brésil.
Le français, une langue pour tout le monde [rapport Larose], 2001, p. 82-83.


En commençant, notons le rôle impérial que le rapport québécois est prêt à faire jouer à la variété mexicaine. Notons aussi la formulation curieuse qui distingue l’Amérique centrale de l’Amérique latine et qui semble exclure le Brésil de cette dernière.

Après avoir présenté le dictionnaire chilien paru en 2010, voici un premier billet consacré au Diccionario del español de México (DEM), paru lui aussi en 2010.

Luis Fernando Lara interviewé par la chaîne hispanophone CNN
à l’occasion de la parution du DEM

Le DEM est le fruit d’un travail commencé en 1973. Il est basé sur un corpus de deux millions de mots de l’espagnol mexicain contemporain (1921 à 1974); le corpus a été complété par des données plus récentes. Basée au Colegio de México, l’équipe de lexicographes dirigée par Luis Fernando Lara a produit les ouvrages suivants :
Diccionario fundamental del español de México, Comisión Nacional para la Defensa del Idioma español, 1982
Diccionario básico del español de México, El Colegio de México, 1986
Diccionario del español usual en México, El Colegio de México, 1996
Diccionario del español usual en México, El Colegio de México, 2e édition, 2009 (cette version est accessible en ligne : http://dem.colmex.mx/Default.aspx)
Diccionario del español de México, 2 t., 2010

Le DEM est un dictionnaire global (ou complet) de l’espagnol mexicain : par conséquent, il ne signale pas les mots et sens propres au Mexique; il ne donne pas non plus leurs équivalents dans d’autres variétés d’espagnol.



El Diccionario del español de México es resultado de un conjunto de investigaciones del vocabulario utilizado en la República Mexicana a partir de 1921. Las investigaciones se llevan a cabo desde 1973 en el Centro de Estudios Lingüísticos y Literarios de El Colegio de México.
El Diccionario del español de México es un diccionario integral del español en su variedad mexicana, elaborado sobre la base de un amplio estudio del Corpus del español mexicano contemporáneo (1921-1974) y un conjunto de datos posteriores a esa última fecha hasta el presente.
Se trata de una obra original, de carácter descriptivo, hecha con criterios exclusivamente lingüísticos. Todo el vocabulario que incluye ha sido usado o se usa en México, al menos desde 1921.
Source: http://dem.colmex.mx/Default.aspx

À SUIVRE

dimanche 22 mai 2011

L’apobouniadose du satané ILUP



À la mémoire de mon collègue Gilles Leclerc (1928-1999),
qui aimait tant créer des néologismes à partir du grec
et qui fut toute sa vie un ardent défenseur du français

Pour commencer, un mot d’explication sur ce titre étrange puisque les hellénistes se font rares par les temps qui courent. Dès la mort de Jules César, l’habitude s’est prise de célébrer une cérémonie de déification des empereurs : l’apothéose (de θες, dieu). Le philosophe Sénèque, qui n’aimait pas l’empereur Claude, a ridiculisé son apothéose dans un écrit satirique intitulé L’Apocoloquintose du divin Claude où ce dernier se transforme non en dieu mais en citrouille (en grec κολόκυνθα, d’où le mot français coloquinte). Le néologisme apobouniadose dérive du grec βουνιάς, -άδος, navet. L’apobouniadose, c’est donc la transformation en navet. Quant au sigle ILUP, il signifie indice de langue d’usage public et il a fait l’objet d’un rapport publié en 1999 par le Conseil (pas encore supérieur à cette date) de la langue française.


Pour la petite histoire, on peut mentionner que le sigle original était FLUP (français langue d’usage public) mais que sa lettre initiale a subi une apothéose en I (apo-iota-ose ?) quand on s’est aperçu qu’il était susceptible de prédire le sort du rapport : un flop. Cette mesure de magie apotropéique s’est finalement révélée vaine (πότροπος, qui détourne les maux).

Deux représentants du Secrétariat à la politique linguistique du Québec ont résumé ainsi la substance du rapport ILUP au Congrès mondial sur les politiques linguistiques tenu à Barcelone en 2002 :
Un nouvel indice (ILUP) donne à croire qu'en 1997 le français était la langue d'usage public de 87 % des Québécois, et ce, même sur l'Île de Montréal, puisque près de trois personnes sur quatre ont déclaré l'utiliser en priorité dans leurs rapports publics. Au sein de l'ensemble de la population immigrée, ce pourcentage s'établissait à 57 %.

Le rapport ILUP a créé une polémique. Nous résumerons les critiques – nombreuses : une pluie de hallebardes – qui lui ont été adressées. Je me contenterai de donner les références des principaux articles critiquant l’ILUP : Le Devoir, 24 septembre 1999 ; Le Devoir, 25 septembre 1999 ; Le Devoir, 16 octobre 1999 ; Le Devoir, 19 octobre 1999 (texte se portant à la défense du rapport mais contenant néanmoins quelques critiques) ; Le Devoir, 1er novembre 1999 ; L’Action nationale, janvier 2000 ; Bulletin d’histoire politique, automne 2001 ; Bulletin d’histoire politique, automne 2002 ; Bulletin d’histoire politique, hiver 2003 (deux textes).


En cliquant ici, vous aurez accès au site du démographe Michel Paillé et à la bibliographie complète de ce qui a été publié sur l’ILUP. Notez qu’il faudra ensuite cliquer sur « Critiques de l'"Indice de langue d'usage public" (ILUP) ».



Voici la liste des principales critiques :
1.   L’objet même de l’LUP est illusoire : se servir d’un seul chiffre pour rendre compte d’une réalité complexe. Comme l’écrit un des critiques, « L’indice miracle qui en un seul chiffre révèle l’essentiel est une utopie ».

2.   L’auteur a utilisé deux équations pour établir son indice. Mais il ne nous donne pas les formules de ces équations : c’est le « secret de la Caramilk » dont nous reparlerons le moment venu. L’auteur ne donne pas plus d’indications sur la façon dont il s’est servi de la régression logistique – technique statistique – pour aboutir à son indice.

3.   Pas plus que les formules des équations, le texte du questionnaire et le rapport administratif de l’institut de sondage ne sont publiés, ce qui n’est pas acceptable dans un rapport de recherche.

4.   Conséquence de ce qui précède, le travail scientifique n’est pas falsifiable (au sens que Karl Popper donne à ce mot) dans la mesure où le lecteur ne dispose pas des éléments nécessaires (questionnaire, équations de régression) afin de vérifier les résultats obtenus : « Seule la personne qui a produit le premier rapport est, dans l’état actuel des choses, capable de procéder à sa mise à jour ».

5.   Le recours à la méthode statistique de la régression logistique a entraîné la mise au rancart d’une forte proportion de l’échantillon de 14 000 personnes parce que, pour faire des régressions logistiques, il faut des réponses valides à toutes les questions. La constitution d’un échantillon aussi grand (avec entrevues en 10 langues) est particulièrement onéreuse. Le contrat initial de collecte des données était de l’ordre de 325 000 $ mais on a dû lui faire une rallonge. D’après ce que l’on réussit à comprendre du rapport, la régression logistique qui a servi à construire l’indice résulterait de 2 000 ou 3 000 répondants, et non de 10, 12 ou 14 000. Comment justifier l’élimination d’une aussi grosse partie d’un échantillon aussi dispendieux ?

6.   L’indice occulte la présence des bilingues qui sont répartis en deux groupes, français et anglais. L’ILUP classe un répondant dans la catégorie « français » dès que sa probabilité estimée d’utiliser le français à partir des activités sectorielles est supérieure à 50 %. Puisqu’il n’y a pas de 50 % pile, il n’y a pas de bilingues. Cela n’est pas conforme à la réalité sociolinguistique de Montréal où il y a une communauté bilingue stable depuis le XIXe siècle. Ce parti pris conduit à présenter les faits de façon tortueuse : il n’y a que 61 % des habitants de l’île qui utilisent exclusivement le français alors que le chiffre mis en évidence, 71 %, comprend des personnes qui utilisent l’anglais jusqu’à 49 % du temps.

7.   Dans l’île de Montréal, le taux de réponse plus élevé des francophones et des natifs a entraîné une surreprésentation d’environ 2 % des francophones et ce biais n’a pas été corrigé sous le prétexte fallacieux que cette surestimation était inférieure à la marge d’erreur de 2 %. Or, tous les biais, quels qu’ils soient, s’additionnent.

8.   L’ILUP repose en partie sur les communications dans les services gouvernementaux et services personnels, secteurs où les employés francophones sont surreprésentés par rapport aux anglophones. Les secteurs de la restauration et de l’hôtellerie, où il y a davantage de mixité linguistique, n’ont pas été pris en compte à part.

9.   De l’aveu même de l’auteur, les 12 activités utilisées dans la confection de l’LUP n’ont pas été pondérées : une activité qui n’a lieu qu’une fois par année (visite chez le médecin, par exemple) a le même poids qu’une activité hebdomadaire ou même quotidienne.

10.  Rien n’est dit sur les critères qui ont servi à déterminer les 12 activités qui ont été analysées.

11.  Il a déjà été établi, à la suite des travaux de Christopher McAll, que la question générale sur l’utilisation du français au travail (celle à laquelle recourt l’ILUP) surestime la place du français. Or, cette question générale est l’élément le plus important dans la constitution de l’indice.

12.   L’indice n’est basé sur aucune véritable problématique sociolinguistique. En particulier, il ne tient pas compte d’une notion fondamentale de la sociolinguistique, la répartition fonctionnelle des langues. Si l’on en avait tenu compte, cela aurait eu comme conséquence qu’on aurait considéré à part les utilisations du français dans les relations avec l’extérieur du Québec ou avec les personnes en visite au Québec (s’il y a plus de touristes anglophones au Québec, il y aura une plus grande utilisation de l’anglais dans la restauration et l’hôtellerie, ce qui ne signifie pas automatiquement une augmentation de l’anglicisation).
*   *   *

En fait l’entreprise ILUP était viciée dès le départ mais l’aveuglement et l’entêtement n’ont pas permis de la stopper. La collecte des données était à la toute veille d’être lancée lorsqu’eut lieu une réunion des chercheurs du Conseil qui révéla l’existence de problèmes conceptuels. Un exemple de question à laquelle il n’a pas été possible d’obtenir de réponse satisfaisante : pourquoi dans la constitution de l’indice voulait-on prendre en considération les consultations chez le médecin (en principe couvertes par le secret professionnel, donc relevant du domaine privé) et non la fréquentation des théâtres et des cinémas qui s’effectue pourtant dans un lieu public ? Bien d’autres questions fondamentales ont été posées et un chercheur, le démographe Michel Paillé, a envoyé une longue note de service (19 pages) aux autorités du Conseil et à ses collègues le 12 juin 1996 dans laquelle il montrait que la méthode employée surestimerait la place du français.

Le seul résultat tangible de la réunion des chercheurs a été qu’une réflexion sur la notion même de langue d’usage public a commencé – vous avez bien lu : on a commencé une réflexion sur la définition d’une notion qui était le fondement d’une recherche déjà en cours. Malgré tout, la collecte des données a poursuivi son cours sans qu’on attende une clarification des concepts.

Dans d’autres circonstances, une telle aventure s’appelle mettre la charrue devant les bœufs.

Et les conséquences ont été à la hauteur de l’improvisation et de la précipitation du départ. À la veille de la publication des résultats, on s’est bien rendu compte qu’on courait à la catastrophe en publiant des résultats qui montraient que, somme toute, le français se portait très bien non seulement au Québec mais aussi à Montréal. Il a donc fallu rectifier le tir in extremis : à côté de deux communiqués de circonstance et d’un troisième claironnant la victoire (« Les allophones adoptent majoritairement le français comme langue de vie publique»), on en a ajouté deux autres qui insistaient sur le caractère précaire du français comme langue de travail à Montréal : « Le français, langue commune, est d'usage courant au Québec, des progrès restent cependant à faire à Montréal » et « Une attention soutenue doit être apportée à la langue de travail et à la situation de Montréal ». En fait, la présidente de l’Office à cette époque, Mme Nicole René, a utilisé l’essentiel de ses interventions lors de la conférence de presse précédant le lancement du rapport à rappeler les difficultés du français pour s’imposer comme langue de travail à Montréal.

On avait senti le roussi et l’incendie n’allait pas tarder à se manifester. Dès le lendemain de la conférence de presse, on a vu Brent Tyler, avocat du lobby anglophone, brandir ledit rapport devant les médias, dire qu’il allait s’en servir dans ses contestations judiciaires et déclarer que, puisque tout allait si bien pour le français, il n’était plus besoin de loi 101. Et il avait beau jeu : la vision jovialiste de la situation du français avait été entérinée par cinq sous-ministres et présidents d’organismes, tous signataires de la préface d’un rapport qui n’allait pas tarder à susciter la controverse. Et placer le gouvernement dans l’embarras. Un embarras qui continue. À preuve : les signatures des sous-ministres et présidents n’apparaissent plus dans la version électronique en ligne sur le site du Conseil.
*   *   *

Malgré la polémique, le Conseil de la langue française s’est obstiné pendant des années à défendre sa chimère d’indice unique, notamment dans les ouvrages Le français au Québec : les nouveaux défis (2005) et Le français, langue de la diversité québécoise : une réflexion pluridisciplinaire (2006). L’arrivée d’un nouveau président a fini par produire un changement de position : le Conseil a admis que, pour rendre compte de la situation linguistique complexe du Québec, il faut « disposer du maximum d’information possible pour couvrir tous les angles de vue » et donc « privilégier la complémentarité des informations fournies par des indicateurs tels que la langue d’usage public, la langue maternelle, la langue d’usage à la maison de même que les substitutions linguistiques » (Rapport annuel de gestion 2006-2007, p. 10). En fait, le Conseil a fini par condamner le recours à l’indice unique pour rendre compte de la situation linguistique du Québec même s’il a utilisé une formulation amphigourique dans le but de ménager la susceptibilité de personnes encore en poste. Mario Beaulieu, membre du Conseil au moment où celui-ci a redéfini sa position à l’égard des indicateurs de la situation linguistique, en ne se gênant pas pour condamner le rapport ILUP, a clairement montré comment il fallait interpréter la position de l’organisme : « Cette étude sur l’usage public du français correspond sans doute à une des tentatives les plus douteuses pour donner un portrait optimiste de la situation du français. Elle a été hautement contestée par les scientifiques à la fois dans ses objectifs et sa méthodologie. C’est également sur cette étude que se fonde l’avocat Brent Tyler pour affirmer que le français n’a plus besoin d’être protégé » (L’Aut’ Journal, n° 255, janvier 2007). À partir du moment où on s’en servait pour contester la loi 101, les navets étaient cuits, la messe dite et l’ILUP condamné.

mercredi 18 mai 2011

Пролетарии всех стран, соединяйтесь!




 

 
Dictionnaire et lutte des classes

Le titre rappellera à certains la brochure Diphtongues et lutte de classes de Desdemone Bardin (Éditions québécoises, 1974).
On aurait pu croire que l’idée de se servir de la langue pour faire avancer la lutte des classes était une idée dépassée depuis la mise au point faite par Staline lui-même en 1950 (Marxisme et problèmes de linguistique) au sujet des thèses proposées par le linguiste Nicolas Yacovlevich Marr. Ce dernier avait tenté d'appliquer la théorie marxiste de la lutte des classes à la linguistique en prétendant que les différents registres de langue correspondent à différentes classes sociales.
Pourtant, dans l’ouvrage Le français au Québec, 400 ans d’histoire et de vie (Conseil supérieur de la langue française et Fides, 2003), les deux chefs de file de l’aménagerie reprennent la thèse de la lutte des classes dans le titre qu’ils donnent à leur contribution : « Le français au Québec : un standard à décrire et des usages à hiérarchiser ».
Des usages à hiérarchiser ? On pourrait penser que la formulation relève d’une maladresse stylistique et que les auteurs voulaient dire simplement : nous sommes rendus à l’étape où il faut décrire la hiérarchisation des usages en cours au Québec. Quatre raisons plaident en faveur du rejet de cette interprétation lénifiante. La première, c’est que la formulation que je critique n’apparaît pas au détour d’une phrase mais qu’elle est clairement mise en évidence dans le titre même de la contribution. La deuxième, c’est que tous les ouvrages publiés par le CSLF sont soumis à une révision linguistique obligatoire avant publication et qu’il serait étonnant qu’on ait laissé passer pareille bourde. La troisième, c’est que la langue et le style des deux auteurs ont été abondamment décrits et critiqués dans un ouvrage de Diane Lamonde antérieur de quelques années (Le maquignon et son joual, 1998) ; on peut donc supposer que, à la suite de cette admonestation, ils surveillent désormais la manière dont ils écrivent. La quatrième, c’est que les auteurs avaient déjà affirmé à plusieurs reprises devant la Commission permanente de la culture de l’Assemblée nationale (séance du 5 septembre 1996) leur volonté de procéder à une hiérarchisation des usages linguistiques au Québec. Citons quelques passages de leur intervention[1] :
[…] définir une véritable politique d'aménagement de la langue commune au Québec, c'est-à-dire une politique qui viserait à hiérarchiser les divers usages du français québécois.
Il importe donc de fournir aux Québécois et Québécoises des renseignements précis sur ces emplois corrects et critiqués de ces formes; cela fait partie, on l'a dit, de l'établissement d'une norme québécoise et d'une hiérarchisation de nos usages.
[…] les Québécois et Québécoises n'ont pas accès à la description de ce français québécois soutenu ou standard et à la hiérarchisation des usages autour de ce français québécois standard.
L'aménagement de la langue passe d'abord par la prise en compte et la hiérarchisation des usages autour d'un français québécois standard, c'est-à-dire du bon usage du français au Québec.
Pour arriver à décrire de façon adéquate ce français québécois et surtout ce bon usage, ce bon modèle de la langue au Québec, nous voyons comme premier moyen la rédaction d'un dictionnaire. C'est le seul ouvrage de base où les usages linguistiques du Québec peuvent être hiérarchisés et le français québécois standard explicité.
Une fois établie clairement la hiérarchisation des usages et la norme du français québécois, il faut s'assurer ensuite du respect de cette norme, c'est-à-dire de la pratique quotidienne d'un français de qualité.
Il leur faut des ouvrages de référence de qualité et fiables dans lesquels la hiérarchisation des usages sera clairement établie et le français québécois standard écrit parfaitement décrit.
Il n’y a qu’une seule langue française, avec des variétés internes, et il s’agit de les hiérarchiser.

On l’a bien lu : il s’agit de hiérarchiser les usages et non de les décrire, ce qui serait l’objectif de tout linguiste ou lexicographe normal.
« Une fois établie clairement la hiérarchisation des usages et la norme du français québécois, il faut s'assurer ensuite du respect de cette norme » : assistera-t-on à une campagne de dékoulakisation ?
Je ne suis pas le premier à attirer l’attention sur le danger que représente cette conception des usages québécois qu’il faudrait hiérarchiser. Le porte-parole de l’Opposition officielle à la même Commission parlementaire, Pierre-Étienne Laporte, ancien président de la Commission de protection de la langue française, puis de l’Office de la langue française, puis du Conseil de la langue française, avait émis des réserves sévères sur cette façon de faire :

[…] il faut faire preuve, en particulier dans le domaine pédagogique, pour qu'une fois qu'une variété linguistique est reconnue comme la variété légitime on évite de créer de l'exclusion sociale.

[…] entre nous et vous, il y a, disons, un désaccord qui tient au besoin que nous ressentons d'être d'autant plus prudents qu'ayant réussi à nous libérer de certaines exclusions que d'autres avaient voulues pour nous, nous ne nous retrouvions pas à nous exclure nous-mêmes ou à exclure par nous-mêmes certains de nos concitoyens qui ne se placent pas seulement à différents niveaux d'une échelle de niveaux de langue, mais qui parlent un français québécois populaire, comme certains de nos amis français ont bien mis en évidence qu'en France il se parle – s'écrit, c'est autre chose – un français populaire.
Exclure par nous-mêmes certains de nos concitoyens ? N’est-ce pas là le principe de la lutte des classes ?
*    *    *

Bandiera rossa
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L’aménagerie n’étant pas une science exacte, elle permet de dire tout et son contraire. C’est ainsi qu’une collègue, ou comparse, c’est selon, des deux aménageux cités ici a écrit : « Il faut avoir l’esprit bien peu scientifique pour oser défendre une hiérarchisation des usages du français » (Le Devoir, 11 juillet 1997) Et cela un an après que ses collègues eurent tenu en commission parlementaire les propos déjà cités.


Cette personne est une collaboratrice du dictionnaire qui doit justement procéder à la hiérarchisation.

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Au moment de mettre en ligne ce billet, je tombe par hasard sur cette déclaration pour le moins piquante d’une personne qui était alors étudiante à l'Université de Sherbrooke : « On peut donc reprocher à [Diane] Lamonde de poser sur le français québécois un regard qui manque d’objectivité, étant de toute évidence atteint par le préjugé populaire qui classe hiérarchiquement les variétés du français » (compte rendu de Diane Lamonde, Le maquignon et son joual, Dialangue 10, 1999, Université du Québec à Chicoutimi, p. 122). Était-ce une façon indirecte de faire un reproche à ses professeurs ?

Aleksandr Guerassimov (1881-1963), Lénine à la tribune,
Moscou, Musée Lénine (1930):




[1] http://www.assnat.qc.ca/archives-35leg2se/fra/publications/debats/journal/cc/960905.htm

mardi 17 mai 2011

Ni petit-boutien ni gros-boutien


Il est nécessaire, avant de mettre en ligne mes prochains billets, que je fasse une mise au point. 
Un ancien collègue m’a fort aimablement reproché d’utiliser le terme d’aménageux et m’a traité à la blague d’exogéneux. Ce qui m’a amené à donner une première réponse dans le billet « Pour sortir du manichéisme linguistique au Québec » où je montre que la catégorie des exogénistes est une invention des endogénistes, partisans d’une norme nationale propre au Québec, qui avaient besoin d’un repoussoir pour mieux imposer leur vision car, depuis un bon quart de siècle (en gros, depuis la fin des chroniques de langue de Pierre Beaudry dans La Presse), il n’y a plus, en face d’eux, personne de quelque envergure ou de quelque influence à prôner un alignement normatif strict sur Paris.

L'auteur pendant ses études à Cambridge. Pressentant sans doute sa future réputation d'exogéniste, il n'arbore ni plumes sur la tête ni ceinture fléchée.
Soyons clair, je ne me considère ni comme endogéniste ni comme exogéniste. J'entends ne pas me laisser enfermer dans un double bind. Dans ce blogue, quitte à aller à contre-courant, je n’entends que défendre le gros bon sens. J’entends appeler un chat un chat et débusquer certaines inepties. Ce n’est pas pour rien que, dans mon premier billet, j’ai mis une longue citation de l’Éloge de la folie. Je n’entends que remettre à l’heure quelques pendules (voir mon billet sur l’absurde « rapatriement du référent » et le billet à venir sur la « hiérarchisation des usages ») et que nuancer certaines opinions qui sont énoncées comme paroles d’évangile (par exemple, sur l’existence universelle des dictionnaires nationaux dont j’ai commencé à traiter dans le billet sur le dictionnaire chilien). Comme je le mentionnais dans mon premier billet, mon modèle avoué est le livre de Geoffrey K. Pullum The Great Eskimo Vocabulary Hoax, and Other Irreverent Essays on the Study of Language (University of Chicago Press). 

Mais il faut quand même que j’explique pourquoi j’utilise le terme d’aménageux.
Le mot aménagiste est mal assumé par ceux-là même dont le métier est de faire de l’aménagement linguistique. Cela remonte au livre de Diane Lamonde, Le maquignon et son joual, L’aménagement du français québécois (Montréal, Liber, 1998). Pour ma part, je ne crois pas qu’il faille mettre tous les aménagistes dans le même panier (mais est-ce ce que fait vraiment D. Lamonde ?). C’est pourquoi je propose d’introduire dans la discussion la distinction entre aménagistes et aménageux. Mettons donc à part la catégorie des aménageux, ceux qui ont donné mauvaise réputation à la discipline, et dont les connaissances et les compétences sont du même niveau que celles des rebouteux et des patenteux.
Il y a une place légitime en sciences humaines pour l’étude scientifique de ce que Claude Hagège a appelé l’« action humaine sur les langues ». Ce sont ces études scientifiques que l’on trouve dans les six volumes de La réforme des langues de Claude Hagège et István Fodor. C’est aussi ce que l’on trouve dans L’embarras des langues de Jean-Claude Corbeil.
Certains, me voyant venir de loin et constatant que je propose de mettre en ligne un billet sur la « hiérarchisation des usages », demanderont : êtes-vous pour ou contre le dictionnaire Franqus du « français standard en usage au Québec » en préparation à l’Université de Sherbrooke ? Pour l’instant, je ne suis ni pour ni contre. Je préfère suspendre mon jugement même si les déclarations passées des responsables du projet invitent à la suspicion. Je jugerai sur pièces quand l’œuvre paraîtra ou, à défaut,  à partir des fragments mis en ligne si la parution continue à être retardée d’année en année :

« En 2005, on annonçait déjà un premier retard d’un an » (« Libre opinion : Décrire le français québécois ou en faire une norme ? » Le Devoir, 20 janvier 2005).

«Le projet Franqus du Dictionnaire du français québécois dans son usage standard est basé à la Faculté des lettres et sciences humaines de l’Université de Sherbrooke, et dirigé par Pierre Martel et Hélène Cajolet-Laganière. La parution est prévue pour 2008» (Dumas, « La transcription phonétique du dictionnaire Franqus », RCLA/CJAL 9,2, p. 109).
« Le premier dictionnaire du français standard en usage au Québec sera bientôt publié en version électronique (hiver 2009) et en version papier (automne 2009). » (L’actualité. – Vol. 33, n° 4, 15 mars 2008).
L’ouvrage sera entièrement complété [terminé] en 2009 et c’est à ce moment que l’on sortira la version imprimée.» (Le Devoir, 29 mars 2008)
Pour Leigh Oakes et Jane Warren (Langue, citoyenneté et identité au Québec, Québec, Presses de l’Université Laval, coll. « Langue française en Amérique du Nord », p. 132), la parution est annoncée pour 2009.
« Enrichie au fur et à mesure de la révision des articles, cette version électronique du Dictionnaire sera complétée [completed ?] en 2011 et servira à la préparation de la version imprimée. » (http://www.ccdmd.qc.ca/correspo/Corr15-2/Franqus.html)

Comme rien n’assure que les dernières échéances ne seront pas repoussées une nouvelle fois, il n’est pas dit qu’entre-temps, je ne ferai pas valoir mon opinion sur les raisons qui ont été apportées pour justifier l’entreprise ni même que je n’émettrai de commentaires sur une version « bêta » dont l’analyse permettra seule de juger de la justesse de l’appellation.

*   *   *


Puis, pour relativiser le débat, pourquoi ne pas lire cette page de Swift ?
Jonathan Swift
LES VOYAGES DE GULLIVER , ch. 4
Faut-il entamer un œuf par le petit bout ou par le gros bout ?
« [Voilà l’objet de discorde qui entraîna la guerre entre les] deux grands empires de Lilliput et de Blefuscu. Ces deux formidables puissances ont, comme j'allais vous dire, été engagées pendant trente-six lunes dans une guerre très opiniâtre, dont voici le sujet: tout le monde convient que la manière primitive de casser les œufs avant que nous les mangions est de les casser au gros bout; mais l'aïeul de Sa Majesté régnante, pendant qu'il était enfant, sur le point de manger un œuf, eut le malheur de se couper un des doigts; sur quoi l'empereur son père donna un arrêt pour ordonner à tous ses sujets, sous de graves peines, de casser leurs œufs par le petit bout. Le peuple fut si irrité de cette loi, que nos historiens racontent qu'il y eut, à cette occasion, six révoltes, dans lesquelles un empereur perdit la vie et un autre la couronne. Ces dissensions intestines furent toujours fomentées par les souverains de Blefuscu, et, quand les soulèvements furent réprimés, les coupables se réfugièrent dans cet empire. On suppute que onze mille hommes ont, à différentes époques, aimé mieux souffrir la mort que de se soumettre à la loi de casser leurs œufs par le petit bout. Plusieurs centaines de gros volumes ont été écrits et publiés sur cette matière; mais les livres des gros-boutiens ont été défendus depuis longtemps, et tout leur parti a été déclaré, par les lois, incapable de posséder des charges. Pendant la suite continuelle de ces troubles, les empereurs de Blefuscu ont souvent fait des remontrances par leurs ambassadeurs, nous accusant de faire un crime en violant un précepte fondamental de notre grand prophète Lustrogg, dans le cinquante-quatrième chapitre du Blundecral (ce qui est leur Coran). Cependant cela a été jugé n'être qu'une interprétation du sens du texte, dont voici les mots: Que tous les fidèles casseront leurs œufs au bout le plus commode. On doit, à mon avis, laisser décider à la conscience de chacun quel est le bout le plus commode, ou, au moins, c'est à l'autorité du souverain magistrat d'en décider. Or, les gros-boutiens exilés ont trouvé tant de crédit dans la cour de l'empereur de Blefuscu, et tant de secours et d'appui dans notre pays même, qu'une guerre très sanglante a régné entre les deux empires pendant trente-six lunes à ce sujet, avec différents succès. Dans cette guerre, nous avons perdu; quarante vaisseaux de ligne et un bien plus grand nombre de petits vaisseaux, avec trente mille de nos meilleurs matelots et soldats; l'on compte que la perte de l'ennemi, n'est pas moins considérable. Quoi qu'il en soit, on arme à présent une flotte très redoutable, et on se prépare à faire une descente sur nos côtes. Or, Sa Majesté impériale, mettant sa confiance en votre valeur, et ayant une haute idée de vos forces, m'a commandé de vous faire ce détail au sujet de ses affaires, afin de savoir quelles sont vos dispositions à son égard. »
Source : Projet Gutenberg, http://www.gutenberg.org/ebooks/17640

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Sans aucun rapport avec ce qui précède, seulement pour la beauté de la musique :

Point de vue comparatif sur les politiques linguistiques au Canada





Un peu de pub pour un ouvrage auquel j’ai collaboré :
CANADIAN LANGUAGE POLICIES IN COMPARATIVE PERSPECTIVE
Language issues have been – and promise to continue to be – at the heart of national political life in Can­ada. The results of governmental language policy play a crucial role in determining the unity of the coun­try. However, despite its importance, language policy is often difficult to understand because it is part of a complicated political terrain where numerous policies intersect. Canadian Language Polices in Comparative Perspective presents a long-required assessment of the field and utilizes a widely recognized comparative method that makes this volume the most systematic study of language issues available.

Capturing the dynamism of Canadian language policies, the essays in this volume analyze and compare the effects, histories, and features of language policies as they have been enacted and implemented by Canadian provincial and federal governments. The contributors' comparisons reveal significant domestic and interna­tional implications for language policy. An important study of a social and political issue that has immediate lo­cal, national, and international consequences, Canadian Language Policies in Comparative Perspective assem­bles knowledgeable authorities on language policy to provide a comprehensive synthesis of its consequences.
Cloth 9780773537057 : Regular Price $100.00
Paper 9780773537064 : Regular Price $34.95
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Table of Contents

Figures, Maps, and Tables vii

Preface xi
Michael A. Morris

Contributors xiii

Introduction: Comparing Perspectives on Canadian Language Policies 3
Michael A. Morris

PART ONE PERSPECTIVES AND OVERVIEWS
Introduction to Part One 17
William F. Mackey and Michael A. Morris
1 History and Origins of Language Policies in Canada 18
William F. Mackey
2 Comparing Language Policies 67
William F. Mackey
3 Evaluating Language Policies 120
William F. Mackey

PART TWO INTERNATIONAL PERSPECTIVES
Introduction to Part Two 161
Michael A. Morris
4 The Language Issue in the United States, Canada, and Quebec: Some Comparative Aspects 166
Jacques Maurais
5 The Danger of Denial of Languages: An Eastern European-Canadian Comparison 179
Yaroslav Bilinsky
6 Canada’s Domestic French-Speaking Groups and the International
Francophonie Compared 206
Jürgen Erfurt

PART THREE NON-LINGUISTIC PERSPECTIVES
Introduction to Part Three 243
Michael A. Morris
7 Linguistic Issues and Immigration in Quebec: Relating the “Cultural Communities” to the “Quebec Nation” and the French Language 246
Louise Fontaine
8 Canadian Federal Policies on Bilingualism, Multiculturalism, and Immigrant Language Training: Comparisons and Interaction 267
Eve Haque
9 Canada’s Official Languages in the Provinces of Quebec and Ontario: A Demographic Comparison 297
Michel Paillé

PART FOUR GROUP PERSPECTIVES
Introduction to Part Four 329
Michael A. Morris
10 Language Policy in Ontario: From the Recognition of Linguistic Rights to the Free Market Policy 333
Normand Labrie
11 The End of the Language Crisis in Quebec: Comparative Implications 344
Pierre Anctil
Synthesis and Conclusion 369
Michael A. Morris

References 385
Index 421