lundi 6 novembre 2017

C’est le bout de la comète


Un mot d’explication sur le titre : c’est une expression qu’employait ma grand-mère paternelle. Elle n’a pas été enregistrée dans le Trésor de la langue française au Québec (TLFQ) et je n’en ai trouvé qu’une seule attestation sur Internet, sur le site du Figaro :

Si des Amish ont fait montre de violence, en coupant des barbes de d'autres Amish, et ce en pleine nuit, comme aurait dit une de mes tantes, "C'est le bout de la comète".


L’auteur de ce commentaire est une dame de Trois-Rivières. On a donc lieu de croire qu’il s’agit d’une expression québécoise vieillie.


Je sais, il y a chez nous une expression bien plus courante et qui veut dire sensiblement la même chose : c’est le bout de la m… Celle-ci a été dûment répertoriée par le TLFQ.


Les dictionnaires n’enregistrent pas d’expression basée sur bout de comète ou queue de comète. Tout au plus au cours de mes recherches ai-je pu trouver cette amusante citation de Mme de Sévigné :

Nous avons ici une comète qui est bien étendue ; c'est la plus belle queue qu'il est possible de voir ; tous les grands personnages sont alarmés, et croient fermement que le ciel, bien occupé de leur perte, en donne des avertissements par cette comète (lettre du 2 janvier 1681).


C’est en lisant une intervention récente du président-fondateur de l’Asulf (Association pour le soutien et l’usage de la langue française) auprès d’un journaliste contre l’emploi que ce dernier faisait en français du mot tailgate que je me suis dit : c’est le bout de la comète ! M. Auclair écrit en effet :

Vous employez le mot tailgate dans votre texte, mais vous prenez soin de l’écrire en italique, ce qui est très bien vu qu’il s’agit d’un mot anglais. Nous vous invitons à employer à l’avenir l’appellation « rendez-vous d’avant-match » qui nous semble claire et facile à employer en français. Elle est d’ailleurs recommandée par l’Office québécois de la langue française, sauf qu’il emploie le mot partie au lieu de match. Il faut lui pardonner ce petit écart.


Excursus : que signifie l’américanisme tailgate ?
« A social gathering in which food and drinks are served at or near the back end of a parked vehicle (such as a pickup truck) that usually occurs in a parking lot before or after a public event (such a football game or concert) » (Webster).




« L’Office québécois de la langue française […] emploie le mot partie au lieu de match ». L’Office qui vient, dans sa dernière politique de l’emprunt linguistique, d’officialiser comme premier critère d’acceptation d’un anglicisme le fait qu’il soit en usage depuis plus de 15 ans. Or, match est attesté en français depuis 1819 selon le Trésor de la langue française informatisé (TLFi). Quant au Trésor de la langue française au Québec (TLFQ), il contient une attestation du mot en 1901 :

Curtis Boisvert, le fameux bicycliste canadien-français que tous les amateurs de Montréal connaissent, avait depuis très longtemps manifesté le désir de participer aux grandes courses entre professionnels. [...] Boisvert a réussi à arranger un match avec le fameux Davidson que nous connaissons également (journal Les Débats, 1901).


La 9e édition du dictionnaire de l’Académie accepte le mot :

XIXe siècle. Mot anglais. Rencontre sportive, compétition entre deux concurrents ou deux équipes. Match de tennis, de rugby. Disputer, gagner un match, plusieurs matchs. Faire match nul, terminer à égalité de points. Balle de match, coup qui peut décider de la partie.


Qui plus est, le TLFi a même enregistré comme canadianisme le verbe matcher :

Matcher, verbe, région. (Canada). a) Emploi trans. Appareiller, assortir. Matcher deux chevaux (Canada 1930). Emploi pronom. à sens passif. Faire se connaître, se rencontrer (un jeune homme et une jeune fille). Leurs mères ont fait leur possible pour les matcher, mais ça n'a pas pris (Canada 1930). Emploi pronom. réfl. ou emploi intrans. (Se) fréquenter, flirter (avec). Il aime ça, matcher (Canada 1930). Paul s'est matché avec Julie en revenant des vêpres (BÉL. 1957). b) Emploi intrans. S'accorder, s'assortir. Ces deux couleurs ne matchent pas du tout (Canada 1930).


Le verbe matcher est aussi attesté en français européen selon le même dictionnaire :

DÉR. Matcher, verbe, peu usité. a) Emploi trans. Affronter un adversaire individuellement ou en équipe dans un match. Ted Russell (...) doit matcher Langford, ici, après demain (GENEVOIX,Laframboise, Match à Vancouver, 1942, p.200). b) Emploi intrans. Disputer un match. Manive devait rencontrer Grimal mais la direction de la boxe l'en empêcha car il avait déjà matché dimanche dernier (L'Écho des sports, 10 févr. 1941). Tout est parfaitement organisé. À Orly par exemple, un préposé aux cadeaux [de la maison Adidas] accueille les équipes étrangères qui viennent matcher sur le sol français (Paris Match, 22 mars 1969, p.10, col. 3). 1res attest. 1892 trans. «affronter dans un match» (L'Écho des sports, 3 sept. d'apr. G. PETIOT ds REY-GAGNON Anglic.), 1893 intrans. «disputer un match» (Vélo, 21 janv., p.3, col. 2 ds BONN., p.91); de match, dés. -er.


L’OQLF, par son rejet de match, est donc plus puriste que l’Académie et que les lexicographes français. C’est la perpétuation de l’idéologie de Maurice Duplessis qui déclarait que les Canadiens franças sont des Franças amiliorés.

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Le Grand Dictionnaire terminologique (GDT) de l’Office québécois de la langue française (OQLF) précise sur sa fiche «fête d’avant-partie» :

Les fêtes d'avant-partie peuvent également avoir lieu dans le stationnement d'arénas ou d'autres lieux où se tiennent des compétitions sportives.
Un repas s'apparentant à un piquenique accompagne la fête d'avant-partie, et tout ce qu'il faut pour le préparer et le servir se trouve dans le coffre du véhicule des participants, dont le couvercle ou le hayon (tailgate) est laissé ouvert. Le repas peut même ressembler à un barbecue avec notamment des grillades, des hamburgers et des hot-dogs. 
Les termes party d'avant-match et tailgate party sont des emprunts à l'anglais dont l'usage est déconseillé, puisqu'ils entrent en concurrence avec les termes français disponibles.


Commentons les termes mis en rouge dans la citation précédente :

• Stationnement, et non parking. Ce dernier mot est pourtant attesté en français depuis 1926 selon le TLFi. Mais pour l’Office l’argument de l’ancienneté ne tient visiblement pas dans ce cas.

En revanche, il tient pour aréna.

• Le GDT a une seule fiche « barbecue », pour désigner l’appareil, pas le repas. Un principe élémentaire lorsque l’on rédige un dictionnaire veut pourtant que l’on n’utilise dans les définitions que des mots qui ont été préalablement définis ailleurs dans le dictionnaire.

• Comment party d’avant-match peut-il être un emprunt à l’anglais ? Ce n'est même pas un calque. Il y a bien deux mots d’origine anglaise mais la syntaxe est française*. On ne dit pas party d’avant-match en anglais, ni même pre-match party mais bien tailgate party !


J’ajouterai en terminant que fête d’avant-match est dix fois plus utilisé dans Internet que fête d’avant-partie (17 100 résultats contre 1 860). Ne faut-il pas parfois envisager de tenir compte de l’usage ?
  
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* Les deux mots répondent au critère d’ancienneté de la nouvelle politique de l’Office : Mérimée utilisait le mot party en 1832, il est attesté en français québécois depuis 1933 (TLFQ) et on a vu que match est attesté en français général depuis 1819.

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