Dans sa nouvelle Politique de l’emprunt linguistique, l’Office québécois de la
langue française (OQLF) adopte comme critère de rejet d’un mot étranger le fait
qu’il « ne s’intègre pas au système linguistique du français ». Parmi
les exemples qu’il donne, il y a selfie
et millénial (écrit avec un accent
aigu !).
Comment peut-on affirmer que le mot selfie (p. 14), utilisé
quotidiennement par des millions de francophones, ne s’intègre pas au système
linguistique du français ? Vous prenez selfie, vous changez deux
lettres et vous avez Sylvie : selfie n’est pas plus
difficile à écrire et à prononcer que Sylvie.
En quoi millénial (« personne de la génération Y »,
p. 14) ne s’intègre-t-il pas ? Le mot ne présente pas de problème
d’intégration phonétique. Ni de problème au plan morphologique : singulier
millénial, pluriel milléniaux. En plus, l’Office l’orthographie
avec un accent aigu, prouvant ainsi – bien malgré lui – que l’emprunt
s’est intégré au système orthographique du français. Et démontrant du même coup
la manière absurde avec laquelle l’organisme applique le critère d’intégration
linguistique.
Dans un billet antérieur, j’ai montré l’absurdité de la note de la
fiche du Grand Dictionnaire terminologique qui rejette l’emprunt tray
(= plateau) au motif qu’il ne s’intègre pas au système linguistique du
français. J’écrivais à propos de tray : « Il est du genre masculin (comme gré et pré)
et il suffit d’ajouter un s pour former son pluriel. La difficulté
d’intégration est affirmée, elle n’est pas démontrée » (voir « Cabaret ou plateau ? »).
Dans le document Politique de l’emprunt
linguistique, on affirme que l’expression hockey sur étang (pond
hockey) est « non intégrable au système linguistique du français »
(p. 17) alors que hockey sur glace naturelle le serait. Parce que
c’est un calque ? Mais le calque est justement un procédé d’intégration
linguistique. J’ai noté dans un billet daté du 1er août que si
l’expression présente un problème, le système linguistique n’est pas en cause. Car le pond hockey ne se joue pas que sur des étangs, il peut se jouer sur
d’autres étendues d’eau glacée. Il y a donc un problème, mais ce n’est pas un
problème d’intégration linguistique, c’est une question de référent. Rappelons que le référent est l’objet (réel ou
imaginaire) désigné par un mot. Il n’a aucun rapport direct au système
linguistique. C’est pourquoi des mots différents peuvent désigner un même
référent selon les langues : on a table en français et en anglais,
mais Tisch en allemand, asztal en hongrois, mesa en
espagnol, tavola en italien, etc.
L’Office décrète qu’un emprunt n’est pas intégrable au système
linguistique du français – globalement, sans nuance – alors que la non-intégrabilité
à l’ensemble du système est chose rare : combien y a-t-il d’emprunts qui
sont non intégrables à la fois au plan orthographique, phonologique,
morphologique, syntaxique et sémantique ? Car pensez-y un peu :
prenons le mot russe дача, il n’est évidemment pas intégrable tel quel dans le
système orthographique du français mais, une fois qu’il a été translittéré en datcha,
il l’est à tous les autres plans, phonologique, morphologique, syntaxique et
sémantique.
Le critère de non-intégration d’un mot étranger au système linguistique
du français est une façon pseudo-scientifique de masquer le caractère
arbitraire du rejet d’un anglicisme. Quand on refuse un emprunt, il y aurait
lieu d’indiquer où se situe le problème d’intégration : au plan phonétique,
morphologique, syntaxique, sémantique. Ou peut-être idéologique ?
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