jeudi 29 août 2024

Le français au Québec, une langue en évolution

 

 

Si les Français s’adaptent, les Québécois aussi. « C’est sûr que cet apport de personnes d’origine française et cette consommation de vidéos de YouTube, tout ça ensemble fait que le français québécois se diversifie et incorpore de plus en plus d’éléments qui viennent de France », mentionne Julie Auger.

Laurence Thibault, « L’hybridité linguistique des Français du Québec », Le Devoir, 29 août 2024

L’arrivée ces dernières années de plusieurs milliers de jeunes Français (qui s’établissent pour un grand nombre dans le « 21e arrondissement de Paris », le Plateau-Mont-Royal) a une influence sur le français parlé à Montréal et quelques linguistes semblent s’intéresser à la nouvelle cohabitation de deux variétés de français dans la métropole. Il fut un temps pas trop lointain où l’on pouvait croire que les linguistes québécois ne s’intéressaient guère qu’au parler des classes populaires du quartier Centre-Sud de Montréal, ce qui s’est concrétisé dans la publication de la volumineuse Syntaxe comparée du français standard et populaire : approches formelle et fonctionnelle par l’Office de la langue française en 1982 (qui reçut une volée de bois vert de la part de l’éditorialiste Lise Bissonnette lors de sa parution : comment l’Office pouvait-il publier une syntaxe du joual ?).

On raconte (et l’anecdote est utilisée dans le film Le Déclin de l’empire américain) que l’historien Michel Brunet affirmait dans ses cours que trois facteurs pèsent dans l’histoire des peuples : le nombre, le nombre et le nombre. La nouvelle immigration française devrait donc avoir une influence sur l’évolution du français québécois et des linguistes se sont déjà mis à étudier ce phénomène comme le rapporte Le Devoir du 29 août. J’espère qu’ils ne se borneront pas qu’à l’étude du vocabulaire et d’un nombre limité de traits linguistiques (comme pourrait le suggérer l’article du Devoir qui ne parle que de la diphtongaison même si on y fait tout de même allusion à l’intonation).

J’aimerais ajouter mon grain de sel. Ce ne sera qu’une anecdote, on ne peut évidemment pas en tirer de généralisations mais elle peut peut-être suggérer des pistes de recherche.

L’autre jour, j’étais assis sur le balcon d’un ami. Sur le balcon mitoyen, il y avait une famille d’ascendance grecque, à l’évidence tous de deuxième et de troisième génération car ils pratiquaient tous le français avec un accent québécois. Ce qui a attiré mon attention, c’est qu’une adulte a répété à une enfant deux ou trois fois l’injonction « regarde » en la prononçant [ᴚɘgaʁd] et non « r’garde », « eurgarde » ou « orgarde » comme aurait fait un Québécois « de souche » en contexte familier. C’est évidemment un point de détail mais qui montre une particularité qui ne fait pas partie du répertoire linguistique de ces personnes. Peut-être un indice de rien du tout du début d'un changement linguistique ou d'un rééquilibrage de formes en concurrence ou en variation libre. Il faudrait multiplier les analyses pointues. Pour cela, nous avons besoin de linguistes capables de produire des descriptions fines, non d'idéologues.

Il me semble évident que le brassage de populations entraîné par les récentes vagues importantes d’immigration entraînera dans la vie de tous les jours toutes sortes d’accommodations entre locuteurs, comme le laisse d’ailleurs présager l’article du Devoir, et que le résultat, dans quelques décennies, sera bien différent du modèle de français québécois standard sur lequel fantasmaient les endogénistes du siècle passé.

dimanche 25 août 2024

La guerre de la cafetière et la fausse guerre de la cuisinière

 

Je ne peux m’empêcher de céder à ma mauvaise habitude de critiquer la chronique « Point de langue » du Devoir (en l’occurrence celle du samedi 24 août). Mais je me limiterai à deux points.

D’abord, il est paradoxal d’intituler un article « Et si l'on dépassait les idées reçues sur l’orthographe ? » quand la moitié en est consacrée à la féminisation.

Second point, la phrase « on rejette une forme féminine parce que le mot désigne déjà un objet, comme la cuisinière ou la cafetière ». Cette phrase n’est vraie que pour la Belgique qui a connu ce que l’on a appelé la « guerre de la cafetière ». Certains se sont opposés au féminin cafetière pour désigner une personne au prétexte que le mot désignait déjà un objet. Quelqu’un a-t-il jamais entendu au Québec le nom cafetier pour désigner le tenancier d’un débit de boissons ? Moi pas. Et, conséquemment, j’irais jusqu’à émettre la proposition que, le masculin n’étant à peu près pas utilisé chez nous, il n’y a guère de nécessité de féminiser l’appellation.

Quant à l’exemple de cuisinière, la chroniqueuse prend le problème à l’envers. Dans les années 1950, à l’époque où l’on faisait sur les ondes la réclame de « mon beau poêle Bélanger », plusieurs s’objectaient au remplacement du mot poêle par le terme standard cuisinière justement parce que ce dernier désignait couramment une femme et non un objet. On ne peut donc pas se servir de cet exemple comme preuve du rejet de la féminisation.

La chroniqueuse devrait mieux choisir ses exemples.

 

Un beau poêle Bélanger comme celui de mon arrière-grand-mère

vendredi 23 août 2024

Un grammairien grincheux et zarzais*

 

Il y a quelque temps, le hasard des recherches sur Internet m’a fait découvrir un billet de blog de 2018 où l’auteur (dont on ignore l’identité) me traite de vieux grammairien grincheux à l’instar de Robert Dubuc et de Robert Auclair. Je suis en bonne compagnie. Robert Dubuc a succédé au grammairien Jean-Marie Laurence à la tête des services de linguistique de Radio-Canada et il a publié un Manuel pratique de terminologie plusieurs fois réédité. Robert Auclair a été juge au Tribunal du travail, il a beaucoup contribué à la correction linguistique des conventions collectives et il est le président-fondateur de l’Association pour l’usage et le soutien de la langue française (Asulf).

Comme la personne qui me traite ainsi me lit, que je ne la connais pas et que j’ignore encore plus son adresse, je vais l’informer sur mon parcours.

Grammairien, je ne le suis guère. Il est vrai que j’ai eu une formation en philologie française et classique (latin, grec). Je me suis frotté à la philologie germanique (gotique, vieil-anglais, vieil-islandais, vieux-haut-allemand) et j’ai suivi une initiation au sanskrit pendant mes études de linguistique à Cambridge.

Ce dont je suis à peu près sûr, c’est que mon critique n’a aucune expérience pratique de la description linguistique. À Cambridge, nous devions produire un certain nombre de travaux sur une langue non encore décrite ou peu décrite. Parmi les trois ou quatre propositions que l’on m’a faites, j’ai choisi le zaza (ou dimli) et j’ai travaillé avec un étudiant locuteur de cette langue. Il était originaire de Siverek en Turquie.

Le zaza est une langue indo-iranienne. À l’époque, il n’existait qu’une vieille étude en russe datant de 1858 et des matériaux d’une enquête de terrain publiés en allemand en 1932. La seule étude récente était un article en russe de 1976 basé sur ces travaux. La situation a bien changé depuis. Quelques travaux importants ont été publiés par des membres de la diaspora turque en Allemagne.

J’ai récemment mis en ligne dans la section anglaise de mon blog les travaux que j’ai faits en 1978 :

    The phoneme system of Zaza

    The passive construction in Zaza

    The typology of relative clause formation in Zaza

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*Sur ce québécisme, cliquer ici.

 

lundi 19 août 2024

La méthode comparative en terminologie


Il y a une grande incompréhension de ce qu’a été, dans ses débuts, le travail terminologique de l’Office (pas encore québécois) de la langue française. J’ai pu m’en rendre compte souvent et, récemment, à la lecture des billets du blog États de langue, le français québécois dans tous ses états (dont l’auteur, apparemment un certain Allard qui pourrait être enseignant, ne donne pas son identité complète).

Le point de départ de la méthode de travail terminologique est le même que celui de Jean Darbelnet dans ses cours de stylistique comparée de l’anglais et du français : trouver des équivalences plutôt que traduire mot à mot.

Tout au cours de sa vie, le professeur Darbelnet avait un carnet où il prenait des notes. Il pouvait nous dire qu’il avait relevé telle ou telle expression à Piccadilly Circus en telle année.

Donnons un exemple de cette méthode qui inspirera celle de l’Office : je vois qu’au Royaume-Uni on utilise ce panneau :

 


…alors qu’en Amérique du Nord on voit habituellement ce genre de panneau :

 


…et qu’en France on trouve plutôt ceci :



Je peux en conclure que le panneau que l’on voit au Québec :

 


… a été conçu sous l’influence de l’anglais. C’est une simple constatation. Je n’ai pas encore posé de jugement de valeur. Cela viendra dans un second temps.

Autre exemple, je constate qu’au Québec on appelle thermopompe l’appareil appelé en anglais heat pump et connu sous le nom de pompe à chaleur en France. Il s’agit d’une simple observation. Je peux aussi ajouter une deuxième constatation, que le terme thermopompe, avec son premier composant grec, a une allure plus savante. Ce n’est que dans un troisième temps que je me poserai la question : doit-on préférer un terme un peu savant à un terme plus transparent ? Ici commence le jugement de valeur.

Cette façon de procéder — je le rappelle : trouver des équivalences existant déjà entre l’anglais et le français plutôt que procéder à des traductions littérales — servait à rédiger les fiches terminologiques, toujours divisées en deux, un partie anglaise et une partie française, chaque partie comportant les rubriques : catégorie grammaticale, genre, définition, contexte, domaine d’utilisation, exemple, indication géographique au besoin, liste des sources pour chaque rubrique. Toutes ces rubriques permettaient de s’assurer que le terme français proposé était bien l’équivalent du terme anglais. Je me demande si on utilise encore ce genre de fiche à l’OQLF puisqu’on voit de moins en moins de définitions anglaises dans le Grand Dictionnaire terminologique (GDT).

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La Stylistique comparée du français et de l’anglais de Jean Darbelnet et Jean-Paul Vinay a servi de modèle à la Stylistique comparée du français et de l’allemand d’Alfred Malblanc.

J’ai suivi à l’Université de Pécs les premières leçons du séminaire de Georges Kassai (Kassai György) sur la stylistique comparée du français et du hongrois. Il reconnaissait sa dette envers Jean Darbelnet et Jean-Paul Vinay. Un exemple de l’application de cette méthode à la langue hongroise : 

Lesiet est un verbe, sietni « courir », précédé d’un préverbe (le « en bas, vers le bas »). On a souvent intérêt à traduire cette combinaison par un verbe suivi d’un adverbe, mais c’est le verbe hongrois qui équivaut au contenu de l’adverbe français et c’est l’adverbe hongrois qui est traduit par le verbe : lesiet, « descendre rapidement ».

Cette méthode permet de constater le grand nombre de calques qu’il y a dans les langues européennes :

all. Krankenhaus = hgr. kórház (hôpital)

all. Großmutter = hgr. nagymama (grand-mère)

angl. court martial, Chapel Royal, the Princess Royal = (ordre des mots français en anglais)

ang. to take part = all. teilnehmen = hgr. részt venni = r. принимать участие = prendre part

throw the baby out with the bathwater = das Kind mit dem Bad ausschütten = jeter le bébé avec l’eau du bain

Il est souvent difficile de savoir quelle langue a emprunté à l’autre  même s’il est peu vraisemblable que Krankenhaus soit un calque du hongrois.

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Au tournant des années 1970 l’État a demandé à l’Office de la langue française d’élaborer un plan pour faire du français la langue du travail. Le directeur de l’Office de l’époque, à ce qu’on m’a rapporté, était tellement accablé par la tâche qu’il se lamentait devant ses employés en disant « non possumus, non possumus ». C’est alors que Jean-Claude Corbeil est entré en scène et a proposé son plan pour « décoloniser la langue » : « L’action de l’Office a été une entreprise de décolonisation », expliquera-t-il plus tard (L’Actualité, avril 1989, p. 22).

Constatant que l’industrialisation du Québec s’était faite principalement en anglais, on s’est tout simplement demandé quels termes on utiliserait si l’industrialisation s’était faite en français. Il fallait donc comparer les termes anglais utilisés dans les diverses branches de l’industrie avec les termes utilisés en France dans les mêmes conditions. Cela a donné lieu à plusieurs missions en France de Québécois, terminologues et représentants du monde industriel, et de plusieurs experts français au Québec. La documentation rapportée a été dépouillée pour élaborer des fiches terminologiques selon une procédure mise en place en parallèle.

Les principes de l’analyse terminologique ont été explicités dans un Guide de travail en terminologie (1973). Jean-Claude Corbeil a toujours insisté sur le fait que la rigueur de la méthode est gage de la qualité de l’analyse terminologique.

Cette méthodologie s’est imposée dans tous les travaux de l’Office déjà en cours, par exemple ceux portant sur la francisation de l’étiquetage : ainsi, on constate sur une étiquette l’utilisation du terme cake mix et, pour un produit équivalent, on lit en France préparation pour gâteau.

Un règlement de 1967 du ministère de l’Agriculture rendait obligatoire la présence du français sur les emballages des produits alimentaires  donc dès avant la loi 22. À la demande de ce ministère, l’Office a produit en 1968 un Vocabulaire anglais-français de l’alimentation. Étant donné le manque de documentation à l’époque, cet ouvrage était bien insuffisant (de l’avis même de son autrice) mais il a conduit à la publication dans les années suivantes de lexiques consacrés à différents secteurs de l’alimentation. Ces travaux ont été faits en collaboration avec le ministère de l’Agriculture, avec divers organismes du gouvernement fédéral et avec des représentants de l’industrie. En effet, pour assurer la qualité et la pertinence des décisions terminologiques, la consultation des experts de l’industrie est indispensable. Plusieurs missions en France ont aussi été faites pour recueillir de la documentation et consulter d’autres experts.

Dans le cas du vocabulaire de l’alimentation, les termes des réglementations québécoise et fédérale ont aussi été comparés à ceux que l’on trouvait dans La Réglementation des produits alimentaires et non alimentaires : Répression des fraudes et contrôle de la qualité de Raymond Armand Dehove (Paris, Commerce-Éditions, plusieurs éditions depuis 1954).

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Jean-Claude Corbeil et Marie-Éva de Villers ont regretté que l’Office québécois de la langue française se soit progressivement éloigné de cette méthode terminologique rigoureuse :

Ce n’est pas tant l’évolution de la situation de la langue française au Québec qui s’est modifiée que l’angle sous lequel l’OQLF considère les choses. L’Office semble désormais prendre en considération la généralisation de la langue familière, et même populaire, qui caractérise aujourd’hui la langue parlée, et parfois la langue écrite. À l’analyse terminologique des anglicismes, l’Office ajoute l’analyse lexicographique en tenant compte davantage des niveaux de langue. Le Grand Dictionnaire terminologique (GDT) s’éloigne de sa mission terminologique et se transforme en dictionnaire de langue. Pourtant, le mandat de l’organisme n’a jamais été modifié depuis l’adoption de la Charte et n’a fait l’objet d’aucun débat. Par ce changement de cap, l’Office dévie de son orientation fondamentale.

D’où leur conclusion : « Au lieu d’effectuer un retour en arrière, de détricoter les importants travaux terminologiques soigneusement élaborés au cours des années 70, l’organisme devrait s’en tenir à son mandat original et accomplir avec efficacité la mission qui lui a été confiée par la Charte de la langue française » (cliquer ici pour lire l’ensemble de leur texte).

 

Chronique d’une chronique

 

Une fois de plus me voici à commenter la chronique « entre l’essai et la vulgarisation scientifique » publiée hebdomadairement dans Le Devoir par une professeure de linguistique.

Samedi dernier elle a fait une incursion aussi rapide que superficielle dans le domaine de la démographie linguistique :

Dans l’ouvrage Le français en déclin ? Repenser la francophonie québécoise, le sociologue Jean-Pierre Corbeil et ses collègues portent un regard critique sur le choix des indicateurs pour mesurer la situation linguistique.

On se base sur la langue parlée à la maison, alors que le domaine de la Charte de la langue française est la langue publique : « Pour bien marquer le déclin du français au Québec, de nombreux observateurs et acteurs de premier plan ont énoncé à plusieurs reprises la proportion de 48 % de la population parlant le français à la maison à Montréal. Mais d’où vient ce nombre ? De fait, il réfère uniquement à la part de la population qui parle uniquement le français le plus souvent à la maison sur l’île de Montréal. »

La chroniqueuse se base sur son histoire personnelle pour contester la validité du critère de la langue parlée à la maison : « ma famille parlait arabe à la maison, mais le français est notre langue à tous dans la sphère publique. » Une anecdote n’est pas une preuve scientifique (même en sciences molles). Pour juger des travaux de Jean-Pierre Corbeil et de ses collaborateurs, on lira avec profit l’analyse qu’en a faite le démographe Michel Paillé en cliquant ici.

La chroniqueuse fait remarquer que « le domaine de la Charte de la langue française est la langue publique » sans se demander s’il peut y avoir une langue publique qui ne soit parlée par personne à la maison. C’est passer sous silence que, dans le cas des langues en voie de disparition, la première étape d'une politique linguistique digne de ce nom est de rétablir la transmission intergénérationnelle. Jean-Claude Corbeil, l’un des penseurs des lois 22 et 101, et Lynn Drapeau, sociolinguiste spécialiste du montagnais (innu), ont proposé un plan qui comprend en premier lieu des mesures pour faciliter l’utilisation des langues autochtones dans la vie privée des familles et des collectivités (dans mon livre Les langues autochtones du Québec, Conseil de la langue française, 1992). Rappelons que l’Irlande, peu après son indépendance, a pris des mesures pour renforcer l’usage de l’irlandais dans les foyers. L’état du français au Québec ne justifiait pas d’aller aussi loin, ce qui n’enlève rien, bien au contraire, à l’intérêt de suivre l’évolution de la situation du français comme langue parlée au foyer.

La chroniqueuse ressort le thème de la féminisation, arlésienne de l’argumentaire endogéniste : « la féminisation est toujours l’objet de discussions en France ». Il y a longtemps que les féminins la députée, la ministre, la juge, la procureure, etc., sont passés dans l’usage en France. J’ai même entendu sur des chaînes françaises, pendant les récents Jeux olympiques, le féminin judokate qu’ignorent Radio-Canada, Usito et le Grand Dictionnaire terminologique (GDT) de l’Office québécois de la langue française (OQLF).

Parmi les « éléments entourant (!) la norme du français québécois », la chroniqueuse ne pouvait omettre les dictionnaires, d’où un hymne à Usito « dictionnaire général qui décrit le registre standard du français québécois » : « aucune communauté francophone hors de France n’avait encore produit de dictionnaire général (et non différentiel) qui décrive en priorité sa variété géographique de français. » Usito est-il un dictionnaire entièrement produit au Québec ? « Usito reprend le plus souvent les analyses d’un dictionnaire de France, le TLF [Trésor de la langue française] de Nancy » affirme le linguiste Claude Poirier (Le Devoir, 14 août 2013). Pour Lionel Meney, professeur émérite de linguistique à l’Université Laval, « ce n'est pas un dictionnaire général et complet du français québécois. Il n'est pas fondé sur la seule base d'un corpus de textes québécois. Il utilise massivement le Trésor de la langue française (TLF) […]. Reprenant l'architecture et les termes de ce dictionnaire, tronquant les citations d'auteurs français pour en extraire des syntagmes (groupes de mots, locutions, expressions), il n'a pas réussi à traiter correctement les québécismes » (blog Carnet d’un linguiste, 1er novembre 2019). On trouvera une liste de critiques en cliquant ici.

Usito, « dictionnaire général (et non différentiel) ». Usito est-il un dictionnaire non différentiel? Impossible de le consulter sans tomber sur les marques « Q/C » (« particularisme de l’usage québécois et canadien »), « F/E » (« particularisme de l’usage français et européen »), « anglicisme critiqué » ou encore la remarque « l’emploi est parfois critiqué comme synonyme non standard de… ».

 

lundi 12 août 2024

Inclusion, que ne dit-on en ton nom?


Le Devoir continue de publier les samedis de l’été une chronique sur la langue dont il dit qu’elle est « à mi-chemin entre l’essai et la vulgarisation scientifique. » Essai, je veux bien. Mais pour la vulgarisation scientifique, on repassera. Quelques commentaires sur la chronique du 10 août qui portait sur l’écriture inclusive.

« C’est une fierté pour le Québec d’avoir été à l’avant-garde de la féminisation des noms de métiers et de fonctions en français. Inspirés par le mouvement provenant des États-Unis, le Canada puis le Québec emboîtent le pas dès 1979. » Comme l’a fait remarquer un lecteur sur le site Internet du Devoir, les noms de métiers n’ont pas de genre en anglais : he is an engineer, she is an engineer. Quant aux noms de fonctions, quelques-uns ont déjà des féminins : earl / countess, prince / princess, mayor / mayoress (rare). On cherche donc l'influence américaine. La seule que je puisse imaginer a dû se faire sentir principalement dans les milieux universitaires où on a voulu voir dans chairman un terme sexiste que l’on a d’abord remplacé par chairperson avant d’en venir à chair, tout court. Mais ce n'est pas de la féminisation.

Autre citation : « [...] les marques de genre et de nombre, qui ne reflètent pas le fonctionnement réel de la langue. » Les marques de genre et de nombre ne reflètent pas le fonctionnement réel de la langue ? Où l’autrice a-t-elle fait ses études de linguistique ? J’imagine que, si elle est chomskyenne, au fin fond de la structure profonde il peut ne pas y avoir de marques de genre ou de nombre et qu'elles apparaissent en surface par le miracle de quelques transformations...

« La règle générale de formation du féminin en français n’est pas la prononciation du « e » final dans le nom, devenu muet, mais de la consonne précédente. Ceci se répercute aussi sur le déterminant et l’adjectif (un petit ami  une petite amie). » L’exemple est mal choisi puisque le « t » se fait entendre devant un nom commençant par une voyelle.

« On ne peut pas freiner le train en marche ». Ne faut-il pas que le train soit déjà en marche pour qu’on puisse le freiner ?

L’autrice ne cesse de se référer à l’Académie française, qui est une cible facile. Mais elle n'est pas la seule à avoir émis des réserves sur l’écriture inclusive. Comment l'autrice peut-elle ignorer la tribune de 32 linguistes contre l’écriture inclusive (cliquer ici) ?

J’ai écrit deux autres billets sur l’écriture inclusive : cliquer ici et ici.

 

lundi 5 août 2024

À propos de généralisations abusives

  

Les comparaisons entre le français du Québec et celui de la France donnent parfois lieu à des généralisations […]

Le Devoir, 3 août 2024

 

Mon exemplaire du Devoir de samedi dernier m’ayant été livré en retard, ce n’est qu’aujourd’hui que je peux commenter la chronique « La langue, une question de registre et de classes sociales ». Je me contenterai de brefs commentaires.

La chroniqueuse cite l’autrice de l’essai États de langue, états d’âme : « Ce n’est pas parce qu’on parle bien qu’on a une belle situation, mais parce qu’on a une belle situation qu’on parle bien. » Parce qu’on a une belle situation on parle bien : il faut vraiment ne jamais avoir entendu des politiciens et des hommes d’affaires québécois pour écrire une telle ânerie.

Je cite encore la chroniqueuse : « Au Québec, les anglicismes font leur entrée avec les paysans, peu instruits, qui gagnent les villes et sont mis en contact avec l’anglais dans les usines, les manufactures et sur les chantiers de construction. Les anglicismes sont dès le départ associés ‘ à l’ignorance et à la pauvreté du prolétariat urbain ’. » C’est un peu court. Il suffit de consulter l’ouvrage Les anglicismes dans le droit positif québécois (Conseil de la langue française, 1984) de Wallace Schwabb pour constater à quel point nos avocats et nos parlementaires ont contribué à l’anglicisation de notre langue.

Dernière remarque : « le faux anglicisme smoking (la forme anglaise est plutôt smoking jacket), en usage en France, est accepté alors que l’équivalent québécois, tuxedo, qui existe bel et bien en anglais, est critiqué. » Tuxedo est un américanisme; en Angleterre, on dit dinner jacket.