Le 11 août, j’ai publié
un billet où je citais les propos d’une chroniqueuse du Devoir sur le
vouvoiement : « [i]l n’y a pas si longtemps, les enfants vouvoyaient
leurs grands-parents, voire leurs parents. ».
Cela m’a rappelé une forme d’interpellation qui me semble aujourd’hui disparue : l’emploi du pronom possessif à la 3e personne du singulier pour s’adresser à ses parents. Les plus anciennes attestations de cette formule datent de 1916 dans le fichier lexical du Trésor de la langue française au Québec (TLFQ) : « Je sais, son père; je sais bien », « C'est-il vrai, sa mère, demanda-t-elle […] » (Maria Chapdelaine).
On trouve des dizaines d’exemples
de cette forme d’adresse dans Trente arpents de Ringuet (p.ex., « [é]coutez,
son père, ça fait betôt trois mois que vous êtes cheu nous »). On la
trouve aussi chez Gabrielle Roy, Germaine Guèvremont, Jacques Ferron, etc. L’exemple
le plus récent semble être de Janette Bertrand : « Arrive au XXIe
siècle, sa mère ! » (Le bien des miens, 2007).
Dans les exemples du TLFQ, l’interpellation
des parents au moyen du pronom de 3e personne du singulier s’accompagne (presque) toujours du vouvoiement. Mais la formule peut aussi s’utiliser entre conjoints
et s’accompagner alors du tutoiement, comme dans cet exemple tiré de Bonheur
d’occasion :
Elle
[Rose-Anna] pencha la tête et hasarda timidement:
- Son père, as-tu pensé à la dépense?
- Oui, sa mère, c'est tout arrangé. Le truck me coûte rien.
- Lachance te le laisse?
La physionomie d'Azarius se rembrunit.
Cet usage n’a pas été enregistré dans le Trésor de la langue française (TLFi) de Nancy (TLFi), où on ne trouve s.v. son que :
A. −
[Dans l'interpellation]
1.
[Précédant les titres honorifiques de certains personnages importants, pour
s'adresser à eux avec révérence ou parler d'eux à la 3epers. du
sing.; s'écrit dans ce cas avec une majuscule] Sa (Gracieuse) Majesté la
Reine de […]
2.
[Précédé de monsieur, madame, et suivi de père, mère, tante...,
pour s'adresser à une pers. à la 3epers. du sing. ou parler d'elle
par déférence] Monsieur son père, Madame sa mère. […].
Cet usage a complétement
échappé à l’attention des rédacteurs d’Usito (pourtant censé décrire le français
standard en usage bla bla bla). À l’entrée son, adjectif possessif,
Usito s’est contenté d’une variation sur la définition du TLFi :
(devant
un titre honorifique) (avec une majusc.) Sert à désigner à la 3e personne
un personnage de haut rang.
Aucune référence à l’usage
québécois pourtant attesté des dizaines de fois dans le fichier lexical du
TLFQ. Et qui avait été enregistré dans le Glossaire du parler français au Canada (1930):