Dans son ouvrage Main basse sur la langue, Idéologie et interventionnisme linguistique au Québec (Montréal, Liber, 2010), Lionel Meney introduit dans le débat sur la langue la notion de diglossie, terme technique dont on peut simplifier la définition de la façon suivante : la diglossie est la cohabitation, au sein d’une même population, de deux variétés de langue, une variété de type dialectal, et une variété codifiée dans des dictionnaires et des grammaires. Des sociétés comme la Grèce, l’Allemagne, l’Italie, la Suisse alémanique ou les pays arabes vivent dans des situations de diglossie. Selon Lionel Meney, il y a au Québec deux systèmes linguistiques, un vernaculaire qui nous est propre et un véhiculaire partagé avec les autres sociétés de langue française.
« Il existe une répartition fonctionnelle entre ces deux systèmes : le premier étant réservé aux situations de communication les plus courantes, les plus familières (avec la famille, les amis, les voisins, les collègues; dans le divertissement); le second, aux situations de communication les moins familières, aux situations publiques, officielles, solennelles (textes officiels, cérémonies, discours, rapports, etc.). » (p. 121)
L’acceptation de l’existence d’une situation de diglossie au Québec est, peut-être paradoxalement, ce qui permettra de décrisper le débat sur la norme en reconnaissant qu'il y a deux variétés linguistiques en concurrence. On ne condamne ni ne relègue aux oubliettes le français vernaculaire québécois. On lui fait une place dans la communication au Québec. L'argument maintes fois servi selon lequel on méprise la langue des Québécois, sinon les Québécois eux-mêmes, quand on prône une norme internationale, ne tient plus selon cette nouvelle façon de voir.
Par ailleurs, ce que l’on appelle le courant « endogéniste », c’est-à-dire un groupe de linguistes qui cherchent à établir une norme pour le Québec différente de ce qu’ils appellent « français de référence » (le français international), se trouve à exclure les Québécois du groupe qui détermine la norme du français. Lionel Meney, en revanche, en affirmant que le groupe de référence est l'élite francophone internationale, montre bien que la norme du français a une base non territoriale mais sociale, ce qui revalorise l’apport des Québécois. Dans cette optique, l'élite québécoise fait partie du groupe qui contribue à définir la norme et participe, en fonction de son importance numérique et de sa créativité (la force de la seconde compensant souvent la faiblesse de la première) à la détermination de la norme.
Dans un document publié (ou plutôt mis en ligne) le 30 octobre 2009 mais passé largement inaperçu, le Conseil supérieur de la langue française avalise cette conception lorsqu’il écrit qu’« on ne doit pas conclure que la langue française est constituée d’un ensemble de variétés géographiques fonctionnant en parallèle et de façon étanche, chacune possédant une norme distincte jouissant d’un prestige ou d’une légitimité semblables. » Le même document parle de la « norme internationale », qui « ne peut non plus être confondue tout à fait avec la norme franco-française ». C’est cette norme internationale que 76,8 % des Québécois veulent voir enseigner dans les écoles et, pour ce faire, 88,3 % croient qu’on devrait utiliser les mêmes ouvrages de référence partout dans la Francophonie, selon les résultats de l’enquête Les Québécois et la norme, publiée par l’Office québécois de la langue française en 2008. Plus étonnant encore, la même enquête révèle que 40,3 % des parents francophones, 56,9 % des parents anglophones et 66,9 % des parents allophones souhaitent que leurs enfants apprennent, dans leurs cours de français, à parler « à la manière française » plutôt qu’« à la manière québécoise ».
Le débat sur la norme au Québec vient donc d’entrer dans un nouveau paradigme, c’est-à-dire un nouveau cadre d’interprétation.
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« La norme du français au Québec : le nouveau paradigme »
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