mardi 9 février 2016

L’exception française

Comme j’en ai récemment fait état dans ce blog, les rectifications orthographiques de 1990 ont refait surface dans le débat public en France. L’Académie française a cru bon de préciser sa position dans un communiqué en date du 5 février 2016. Elle rappelle « qu’elle n’est pas à l’origine de ce qui est désigné sous le nom de ‘ réforme de l’orthographe ’ » et que son approbation des rectifications proposées a toujours été assortie « d’une invitation à la mesure et à la prudence dans la mise en œuvre des mesures préconisées, mettant en garde contre toute imposition impérative des recommandations. » Elle note en particulier :

[…] les rectifications proposées ne consistent en aucune manière à simplifier des graphies résultant d’une évolution étymologique ou phonétique, mais visent à mettre fin à une anomalie, à une incohérence, ou, simplement, à une hésitation, et ainsi à permettre l’application sans exceptions inutiles d’une règle simple, à souligner une tendance phonétique ou graphique constatée dans l’usage, ou encore à faciliter la création de mots nouveaux, notamment dans les domaines scientifique et technique, et, de manière générale, à rendre plus aisés l’apprentissage de l’orthographe et sa maîtrise.


Je retiens le passage suivant : permettre l’application sans exceptions inutiles d’une règle simple. Il faudrait nuancer. Je ne suis en effet pas le premier à constater que les rectifications de 1990 introduisent de nouvelles exceptions : un fruit mûr, mais une pomme mure, ambigüité mais linguistique, sûr mais surement, cachecache mais cache-cœur.


Dès 1991, Josette Rey-Debove et Béatrice Le Beau-Bensa émettaient le constat suivant au sujet des rectifications orthographiques proposées l’année précédente : « On peut dire, avec d’autres spécialistes du mot écrit (linguistes, pédagogues, correcteurs) que les rectifications proposées […] ne sont pas toujours simplificatrices, que de nouvelles exceptions sont venues remplacer les anciennes ; que la réforme est trop limitée pour que l’apprentissage du français écrit en soit vraiment amélioré1. » Marie-Éva de Villers opinait dans le même sens : « Avec un peu de recul, force est de reconnaître aujourd’hui que la simplicité visée par la réforme n’était pas véritablement atteinte par les rectifications proposées, qu’elle imposait un nouvel effort d’apprentissage à tous les locuteurs francophones sans apporter en retour une réduction appréciable des exceptions et de nouvelles règles grammaticales davantage empreintes de logique et d’harmonisation2. »
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1Josette Rey-Debove et Béatrice Le Beau-Bensa, La réforme de l’orthographe au banc d’essai du Robert, Paris, Dictionnaires Le Robert, juillet 1991, p. 6.
2Marie-Éva de Villers, « La réforme de l’orthographe est-elle restée lettre morte? », Correspondance 4/1, septembre 1998 (http://www.ccdmd.qc.ca/correspo/Corr4-1/Villers.html).

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