On m’a signalé que la fiche
« magasinage / shopping » du Grand Dictionnaire terminologique
(GDT) de l’Office québécois de la langue française (OQLF) avait récemment été
refaite. On y lit maintenant : «L'emprunt intégral à l'anglais shopping ne
s'inscrit pas dans la norme sociolinguistique du français au Québec. Il n'est
pas acceptable en vertu des critères de traitement de l'emprunt linguistique en
vigueur à l'Office québécois de la langue française ».
Le mot shopping ne « s’inscrit » pas dans
la norme sociolinguistique du français au Québec. Notons le caractère pour le
moins curieux de la formulation. En français normal, on aurait simplement dit
que le mot n’est pas conforme à la norme.
Mais quelle est
cette norme sociolinguistique ? Pour y voir clair, il faut des enquêtes
sociolinguistiques. Il se trouve que, sur le point précis de l’opinion des
Québécois sur les anglicismes, le Conseil et l’Office de la langue française ont
effectué trois enquêtes d’opinion, en 1983, en 1998 et en 2004. Elles contredisent
en bonne partie la prétention des terminologues de l’OQLF.
Évolution des opinions des Québécois sur les
anglicismes
Commençons par la
question la plus générale sur les anglicismes dans les trois sondages.
En 1983 plus des trois quarts des personnes
enquêtées dans les régions métropolitaines de Montréal et de Québec croyaient
qu’« il faudrait éliminer les mots
anglais du français d’ici ». Il n’y avait pas de différence
significative entre les tranches d’âge : le rejet des anglicismes était
donc largement partagé par toutes les générations. Deux décennies plus tard,
cette opinion aura perdu près de 20 points (79 % en 1983, 60,3 % en
2004).
Cette plus grande tolérance envers les
anglicismes est le fait des générations plus jeunes. Dans les enquêtes de 1998
et de 2004, plus on est jeune et moins on est hostile aux mots anglais. Un peu
plus du tiers des jeunes se disent hostiles aux anglicismes comparativement à
plus des deux tiers chez les plus âgés.
À la lumière des réponses à la proposition qu’« il faudrait éliminer les mots anglais du
français d’ici », la « norme sociolinguistique du français au
Québec », invoquée dans la fiche du GDT, est donc claire : ouverture
de plus en plus grande aux mots anglais. On peut s’en désoler, on peut estimer
que 60 % des plus jeunes générations sont dans l’erreur, mais on ne peut
faire dire aux chiffres le contraire de ce qu’ils disent.
Une opinion encore divisée
Une autre question laisse croire que l’opinion
publique québécoise est encore très divisée sur les anglicismes. À la question « À
partir du moment où les autres francophones utilisent un mot emprunté à une
autre langue (par exemple, le terme week-end),
trouvez-vous que les Québécois devraient l’utiliser ? », les réponses
sont plus partagées :
La question ne figurait pas dans l’enquête de
1983. Il aurait été intéressant de voir si sur ce point particulier l’opinion
avait autant changé entre 1983 et 1998. Le oui et le non sont presque à égalité
en 1998 mais on note la progression, légère, du rejet du mot week-end de 1998 à 2004. Pourtant, le
mot week-end s’entend partout au
Québec à la radio, comme j’ai pu le constater dans mon analyse des bulletins d’information.
Ce que nous connaissons de la norme sociolinguistique
du français au Québec devrait amener les terminologues de l’OQLF à faire preuve
de plus de prudence dans leurs affirmations.
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Jacques Maurais, Les
Québécois et la norme : l’évaluation par les Québécois de leurs usages
linguistiques, Montréal, OQLF, 2008.
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