Le hasard a fait qu’au cours de mes
recherches je viens de tomber sur un texte résumant un livre d’essais du grand
écrivain hongrois Dezső Kosztolányi (Dezső, avec double accent aigu, se
prononce « des jeux »; et le nom de famille, « costolagni »
avec un a allongé). Kosztolányi est
célèbre en Hongrie pour la critique qu’il a faite des propos du linguiste
français Antoine Meillet sur le hongrois. Dans son livre Les langues dans l’Europe nouvelle (1918), ce dernier avait tenu
des propos qui avaient blessé les Hongrois. C’est ainsi qu’il écrivait : « … le
magyar n’est pas une veille langue de civilisation. Il porte dans son
vocabulaire la trace d’influences extérieures de toutes sortes : il est
plein d’emprunts au turc, au slave, à l’allemand, au latin, tandis que lui-même
n’a exercé sur les langues voisines presque aucune influence durable1. »
On a publié en 2016 la traduction française
d’un recueil de textes de Kosztolányi sous le titre L’âme et la langue2. Ella Micheletti en a fait un résumé substantiel dont j’extrais ce qui concerne l’examen que fait Kosztolányi de l’emprunt
linguistique :
Après avoir aussi bien explicité le pouvoir de la langue
maternelle, Dezso Kosztolanyi en vient à évoquer les influences réciproques des
langues. Il sait se montrer nuancé mais ferme. Pas de
« linguistiquement-correct » autrement dit d’apologie des
remplacements de mots. Dès les années 30, l’auteur observe une montée en
puissance des mots anglais, allemands, latins ou même français en Hongrie. Or,
le problème est qu’ils ne sont pas venus s’ajouter aux mots hongrois mais les
remplacer. En d’autres termes, face à de nouveaux mots étrangers et génériques,
certains mots hongrois, qui servaient à montrer de multiples subtilités de
situations, « stagnent, peu à peu
deviennent superflus et vides de contenus, ils s’étiolent puis meurent ».
Certains verraient dans ce point
de vue un caractère rétrograde et « fermé » au monde car c’est
précisément là le seul prisme de lecture offert à notre époque : celle de
l’ouverture et des multi-échanges. Toutefois, gageons que la langue comme
garante d’une identité assumée et d’un corpus de références communes reste une
opinion encore prégnante et évidente chez l’immense majorité des peuples.
L’argumentaire de l’auteur en faveur
de la non-prolifération de mots étrangers dans le hongrois doit être replacé
dans le contexte de cet État qu’est la Hongrie. Si tout peuple est légitime à
souhaiter que sa langue soit préservée au minimum, le hongrois, rappelle
l’écrivain, « reste une langue isolée ».
Et si les emprunts du grec et du latin dans le français sont compréhensibles au
vu de nos racines linguistiques, il n’en est pas de même pour cette langue
finno-ougrienne sans « lien organique »
avec les deux langues antiques.
En revanche, tout ce plaidoyer en
faveur d’une langue qui ne se laisse pas travestir par des mots moins riches et
nuancés ne fait pas tomber l’auteur dans un chauvinisme grossier. Il est juste
question de patriotisme tranquille. Dès lors, Kosztolanyi précise que « ce serait une aberration de déclarer la guerre aux
mots qui viennent du bulgare ancien, à nos mots turcs ou slaves […] auxquels
nous avons maintenant accordé droit de cité ». La nuance est
subtile : l’acceptation de mots de langues cousines ou du moins proches de
la nôtre il y a des centaines d’années ne permet pas automatiquement
d’accueillir des mots sans aucun lien organique aujourd’hui. Un bon compromis
entre la préservation d’une langue et son enrichissement limité mais cohérent
par d’autres mots. Et de conclure : « Celui
qui ne connait pas sa langue maternelle ne saurait être humain. L’homme
international n’existe pas. »
________
1. «La
place de la langue hongroise sur la planète », dans Aujourd’hui, Anthologie de la littérature hongroise contemporaine,
Budapest, Corvina, 1987.
2. Dezső
Kosztolányi,
L’Âme et la Langue,
éditions Vagabonde, 160 pages, 16 euros.
* * *
Un autre Hongrois, Árpád Vígh, s’est intéressé, lui, à la langue
littéraire au Québec dans son ouvrage Le
bon usage des québécismes. Cliquer ici pour lire mon billet sur cet
ouvrage.
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