mardi 12 avril 2011

Le québécois standard, langue calque /4


Je me concentrerai maintenant sur la syntaxe en relevant quelques traits qui me semblent particulièrement caractéristiques et que l’on passe sous silence le plus souvent. Les exemples sont pris pour la plupart, mais non exclusivement, à des médias, écrits ou parlés, dont on s’accorde pour louer la haute tenue linguistique ou à des organismes publics dont on peut croire qu’ils font réviser leurs textes avant publication. Les exemples relevés à la radio ou à la télévision relèvent de l’ « écrit oralisé », ils ont été entendus dans des bulletins d’information ou ont été produits par des animateurs ou journalistes dont les propos indiquaient qu’ils se basaient sur des sources écrites.

1. Postposition du sujet sous l’influence de l’anglais dans la formule « non seulement… »
« Nulle part dans notre aménagement constitutionnel, le caractère laïque, séculier ou neutre de l'État (canadien ou québécois) ne se trouve-t-il affirmé. » (Jean-Claude Hébert, « Laïcité et suprématie de Dieu », Le Devoir, 21 décembre 2009). [inversion du sujet calquée de l’anglais]

2. Antéposition de l’adjectif (adjectif anormalement placé devant le nom comme dans « la romaine patrouille », « le Royal 22e régiment ») :
« …le très attendu film de James Cameron… » (Radio-Canada, Québec, 18 décembre 2009)
« Chose certaine, le prolifique et doué cinéaste mise ici sur un humour à froid… » (François Lévesque, « Mythomane inc. », Le Devoir, 19 et 20 septembre 2009, p. E7)
« Ce que Stephen Harper voulait, en mettant fin à la session, était de couper l'herbe sous le pied du comité parlementaire qui étudie la mission en Afghanistan et le controversé dossier du transfert des détenus. » (Manon Cornellier, « Abus de pouvoir », Le Devoir, 4 janvier 2010)
« … la plus fouillée monographie récemment publiée sur le peintre. » (Isabelle Paré, « Exposition – Le mystérieux jardin de J. W. Waterhouse », Le Devoir, 30 septembre 2009, p. B10.
« … une île française du Pacifique où vit celui qui est probablement le plus lointain abonné du Devoir » (« Le lecteur du bout du monde », Le Devoir, 29 mars 2010, p. A7)
« … il faudra effectuer de plus rigoureuses et nombreuses études scientifiques avant de pouvoir offrir ce traitement aux malades. » « … tant que son efficacité n'aura pas été prouvée par de rigoureuses études scientifiques » (Pauline Gravel, « Sclérose en plaques : l’espoir prudent d’une solution », Le Devoir, 16 avril 2010, p. A2).
« Comme l’américain Parti républicain, dont cette frange ultraconservatrice est une composante essentielle, le Parti conservateur est-il tranquillement mais sûrement infiltré par des groupes religieux […] ? (Marie-Andrée Chouinard, « Sans signe ostentatoire », Le Devoir, 8 avril 2011, p. A-8)
Les mêmes causes produisant les mêmes effets, il est intéressant de noter que l’anglais a conservé, du temps où il était soumis à une forte influence du français, certains usages où l’adjectif est postposé : court martial, Chapel Royal, Prince Royal, Peers of the Blood Royal, Lords Spiritual and Temporal, etc. Cette utilisation de l’adjectif postposé s’est maintenue dans le vocabulaire relatif aux institutions britanniques.



3. Absence de l’article devant certains titres de civilité (docteur, maestro, etc.) :


« Maestro Yoav Talmi entamera sa dixième saison à titre de directeur artistique en septembre 2008. » (Conseil des arts et des lettres du Québec, http://www.calq.gouv.qc.ca/jp/musique/os_qc.htm)
« En vedette, deux grands noms de la musique au Québec : l'Orchestre symphonique de Montréal avec maestro Kent Nagano au pupitre, et la chanteuse Ginette Reno. » (Site de Radio-Canada, 3 septembre 2009)

 « […] heureux d’annoncer la nomination de Dr Jean De Serres à titre de président et chef de la direction d’Héma-Québec. Dr De Serres est entré en fonction le 1er avril.» (publicité, Le Devoir, 9 avril 2011, p. C-3)

4. Sur-utilisation du démonstratif ce sous l’influence de l’anglais, comme dans ce début d’éditorial du Devoir, où il n’y a pas de raison d’écrire « ce gouvernement » puisqu’il n’en a pas encore été question de façon explicite dans le texte :
« Québec n'a encore jamais accordé de permis, mais 60 résidences de Malartic ont été déplacées pour faire place à une mine d'or à ciel ouvert. Malgré toutes ses mises en garde, le dernier rapport du bienveillant BAPE ne comporte pas de quoi ébranler ce gouvernement, car il a déjà joué ses dés. » (Marie-Andrée Chouinard, « Projet Malartic – Ruée vers l’or », Le Devoir, 14 juillet 2009, p. A6)
« Moins connue et plus petite, la Commission canadienne des affaires polaires fait, quant à elle, du surplace, a découvert Le Devoir. Ce gouvernement, qui prétend faire du Nord une priorité, a laissé tous les postes du conseil d'administration vacants depuis la fin d'octobre 2008, etc. » (Manon Cornellier, « Le 51e État », Le Devoir, 3 février 2010, p. A3)
« Dans la Gazette, on parle de cet incendie qui a détruit cette église… » (Radio-Canada, 1re chaîne à Montréal, 7 février 2010).
« Le terme ‘aspirateur’ désigne, plus spécifiquement, ce type d'appareil qui est destiné au nettoyage des sols, des tentures, etc. » (Grand dictionnaire terminologique de l’Office québécois de la langue française, fiche « aspirateur », en ligne le 5 janvier 2011)
L’animateur d’une émission d’affaires publiques de la première chaîne de Radio-Canada fait une utilisation surabondante du démonstratif ce.
La sur-utilisation du démonstratif vient très probablement de l’usage parlementaire britannique. Voici quelques exemples pris dans le journal des débats (Hansard) du 10 décembre 2009 : this House calls upon the government to ratify the Convention on the Rights of Persons with Disabilities, the petitioners draw to the attention of this House, call upon this House to complete the process, all matters that this House has habitually respected, they have been misleading this House, etc. Les motions sont formulées elles aussi de la même façon: That this House call upon the Minister of Human Resources and Skills Development to ask the Employment Insurance Commission.
La syntaxe de l’Assemblée nationale du Québec se ressent fortement de cette influence anglaise (exemples pris dans les séances des 3 et 4 décembre 2009) : Sébastien Bois posait en cette Chambre un geste hautement répréhensible ; en ce qui concerne le projet de loi qui est ici, devant cette Chambre, nous allons voter pour ; je m'adresse à cette Chambre ; faire attention au niveau d'échange que nous tenons en cette Chambre ; le respect de la vérité en cette Chambre ; je tiens à dire à cette Chambre, etc.
À titre de comparaison, le style de l’Assemblée nationale de France est différent (séance du 21 janvier 2010) : je tenais à donner ces précisions à notre assemblée ; lors des explications de vote en première lecture à l'Assemblée nationale; la taxe sur les véhicules de société, que vous avez contestée quand nous l’avons proposée à l’Assemblée nationale ; notre assemblée examinait la proposition de loi de notre collègue ; en application de l’article 96 du règlement de l’Assemblée nationale; les articles de la proposition de loi dans le texte dont l’Assemblée a été saisie. Ce qui ne veut évidemment pas dire que le recours au démonstratif est absent dans les débats parlementaires en France mais il y est beaucoup moins fréquent : j’espère que mardi, par scrutin public, les collègues de cette assemblée, dans leur ensemble, vous ramèneront à la raison. Au Québec et dans les interventions en français à la chambre des Communes à Ottawa, le recours au démonstratif est en revanche systématique.

5. Traduction littérale de l’expression there is not such a thing as : there is not such a thing as fairies, les fées n’existent pas :

« Il n’y a plus désormais une telle chose que ce débat. » (Robert Laplante, « Revoir le cadre stratégique », L’Action nationale, janvier 2004)

« Fernand Dumont a soutenu qu'il n'y a pas à proprement parler une telle chose que la nation québécoise. » (Syllabus d’un séminaire de l’UQAM)

« Il n'y a pas de telle chose que des ‘acts of God’, des cas de force majeure. » (Lettre d’un lecteur, Le Devoir, 3 février 2010)

(À SUIVRE)

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