Un groupe de terminologues a publié dans Le Devoir du 12 février dernier une lettre ouverte dans laquelle ils dénoncent la dérive qui a commencé à s’installer à l’Office québécois de la langue française dans la conception du travail terminologique il y a une bonne dizaine d’années. En farfouillant dans mes fichiers, je suis tombé sur cette phrase d’un terminologue-lexicographe qui, dès 2001, expose on ne peut mieux cette dérive de la terminologie à la lexicographie purement descriptive :
« les terminologues de l’Office tiennent de plus en plus compte de l’usage courant dans leurs propositions terminologiques, et ce, pour faciliter l’implantation ou la reconnaissance d’un bon usage conforme au sentiment linguistique des Québécois. Ainsi, l’existence d’un terme technique ou scientifique n’empêche naturellement pas la reconnaissance d’un terme de la langue générale pour désigner une même réalité (cf. thuya et cèdre). » (p. 39)
La reconnaissance d’un terme de la langue générale à côté d’un terme scientifique et technique : c’est bien là le nœud du problème. Le Grand dictionnaire terminologique a-t-il pour mission de faire la description lexicographique des usages québécois ? Les dizaines de terminologues et de traducteurs qui ont appuyé la lettre ouverte sont d’avis contraire.
Le « bon usage conforme au sentiment linguistique des Québécois » ? Comment fait-on pour déterminer cette conformité ? Manifestement, cela est laissé au jugement de chacun des rédacteurs des fiches du Grand dictionnaire terminologique. La subjectivité remplace la rigueur de la démarche terminologique.
Or, le travail terminologique a pour objectif de mettre de l'ordre sur le plan des concepts dans la terminologie d'un domaine donné et de fournir un outil de communication efficace à des experts qui ont besoin de se mettre au même diapason. Ce qui implique la remise en question de certains termes déjà employés, même s’ils sont « conformes au sentiment linguistique des Québécois ». En faisant ces études, on s'aperçoit que certains termes de domaines techniques ou scientifiques, employés dans la langue courante, ne sont pas convenables ou ne sont plus convenables. On ne peut pas se prononcer tant qu'on n’a pas fait d'études approfondies avec les experts, examiné la documentation, les réseaux conceptuels et considéré toutes les conséquences des décisions afin de produire un travail qui permettra aux experts de mieux communiquer entre eux.
Aller à la dérive, c’est aller au gré du vent ou du courant. Aller à la dérive en terminologie, c’est suivre son « feeling ».
« La norme du français québécois : l’affirmation d’un libre arbitre normatif », La représentation de la norme dans les pratiques terminologiques et lexicographiques, Actes du colloque tenu les 14 et 15 mai 2001 à l’Université de Sherbrooke dans le cadre du 69e Congrès de l’Acfas, sous la direction de Pierre Bouchard et de Monique C. Cormier, coll. « Langues et sociétés », no 39, [Montréal], Office de la langue française, 2002, 33-47.
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